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mœurs et l’esprit du XVIIe siècle ne nous autorisent point à faire cette assimilation.

Les libertins en général n’étaient ni des esprits libres, ni des esprits forts. Le bûcher même dont ils étaient menacés et qui un a brûlé quelques-uns n’a pas réussi à les rendre intéressans. La religion était pour eux non une erreur ou un mensonge, mais un maître importun de la pensée et de la vie, et, s’ils la rejetaient, ce n’était point parce que leur raison n’y pouvait croire, c’est parce qu’elle gênait leurs appétits. Lorsque le médecin-abbé Bourdelot, Condé et la princesse Palatine s’acharnèrent à brûler un morceau de la vraie croix, qui résista miraculeusement à leurs efforts, — si bien que ce miracle détermina la conversion de la princesse, — leur crédulité était toute pareille, selon la remarque de Sainte-Beuve[1], à celle des pieuses âmes qui croyaient à la guérison par la Sainte-Epine. Il est donc permis d’avoir fort peu d’estime pour les libertins, sectateurs vulgaires d’Aristippe, aussi peu dignes d’Epicure que de Zénon. Quanti Bossuet les bouscule et les fouaille sans daigner même leur opposer des raisons « qu’ils n’ont jamais pris la peine d’examiner sérieusement, » ils n’ont que ce qu’ils méritent.

Les libertins avaient un esprit si peu sérieux qu’ils traitaient la science avec la munie légèreté que la religion. Au XVIIe siècle, l’incrédulité n’était pas encore ce qu’elle est devenue plus tard, une alliée de la science contre la religion : au contraire, il semble (comme le Père Mersenne l’a charitablement remarqué) que les incrédules d’alors voulussent glisser leur mépris de la science dans l’esprit des jeunes gens « portés au libertinage et à toute sorte de voluptés et de curiosités, afin que, ayant fait perdre le crédit à la vérité en ce qui est des sciences et des choses naturelles, ils fissent de même en ce qui est de la religion. » Pendant que les libertins se brouillaient étourdiment avec la science, les savans en général, quelle que fût la ferveur intime de leur foi, restaient professionnellement fidèles à la religion. Le Père Mersenne et le Père Garasse lui-même avouent qu’il n’y a point de médecins libertins dans l’école de Paris. Les propos hardis d’un Guy Patin, ennemi des ultra mon tains et des moines, sont des licences non d’incroyant, mais de frondeur. Ainsi, la

  1. Port-Royal, t. III, p. 303.