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vérité scientifique, qui aura bientôt à se défendre contre le dogmatisme religieux, se trouve d’abord aux prises avec le scepticisme libertin. Pascal a vécu au milieu de ces savans qui étaient des croyans ; il n’a pas plus douté de la science que de la religion, et, avec l’infinie différence de vénération et d’amour que le divin réclame, il les a toujours considérées respectueusement Tune et l’autre.

Le doute méthodique de Descartes fut, dans l’ordre philosophique, l’organisation et la discipline du doute qui se donnait carrière et prenait ses licences sans règle et sans mesure dans les écrits des libres penseurs. Au point de vue religieux et chrétien, l’auteur du Discours de la méthode ressemble, à s’y méprendre, aux catholiques d’Etat du XVIe siècle finissant ; il leur ressemble même avec cette aggravation, que ceux-ci avaient définitivement accepté le Credo de l’Eglise, tandis que Descartes, invitant le christianisme à vouloir bien « se remiser dans une salle d’attente honorable, » jusqu’à ce que la raison ait eu le temps de vérifier ses titres, ose admettre par là même la possibilité ultérieure d’un refus motivé[1]. Et ce n’est pas aux stoïciens seulement, c’est aussi aux libertins que ressemblait Descartes par sa fameuse prescription d’obéir aux lois et aux coutumes de son pays en retenant la religion où l’on est né. Vanini, brûlé en 1619, conseillait la même chose par prudence, la profession d’athée étant alors mortellement périlleuse. Les deux autres maximes de la morale provisoire de Descartes sont stoïciennes comme la première : « Etre le plus ferme et le plus résolu en mes actions que je pourrais, » — « tâcher plutôt à me vaincre que la fortune, et à changer mes désirs que l’ordre du monde. » C’est le stoïcisme, non le christianisme, qui inspire Descartes en toute occasion. Rien de plus fier, mais rien de moins chrétien que l’exhortation qu’il adresse à la princesse Elisabeth, d’ « acquérir cette souveraine félicité que les âmes vulgaires attendent en vain de la fortune, et que nous ne saurions avoir que de nous-même. » Il va jusqu’à opposer les leçons du stoïcisme à celles du christianisme et à préférer les premières.

  1. « Vainement le grand métaphysicien donne-t-il des gages de respect envers l’Église en offrant au christianisme, à côté du doute méthodique, une salle d’attente honorable ou se remiser, jusqu’à ce que la nouvelle philosophie qui marche à sa rencontre l’ait rejoint ; cette concession ne peut paraître qu’insolente et dérisoire au grand chrétien. » Sully Prudhomme, La vraie religion selon Pascal, p. 340.