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dont se scandalisaient les esprits forts ; et il exprima l’avis que le raisonnement bien conduit portait à admettre ces enseignemens de la religion, encore que le devoir du chrétien fût de les croire sans l’aide du raisonnement. Or, là-dessus, M. Rebours s’inquiéta[1]


Et voici maintenant le fils d’Étienne qui reparaît dans ces lignes de Pascal adressées au Père Noël, jésuite, professeur de Descartes et son ami :


En ce qui concerne les sciences, nous ne croyons qu’aux sens et à la raison. Nous réservons pour les mystères de la foi, que le saint Esprit a révélés, cette soumission qui ne demande aucune preuve sensible ou rationnelle.


Ce qu’il y eut d’inconsistant dans la pensée et dans la conduite de Pascal avant la fameuse nuit de novembre 1654 où il se donna tout entier à Jésus-Christ, s’explique par le fait que jusqu’à sa trentième année il n’était pas véritablement chrétien. Sa première « conversion, » puisqu’on en compte deux, avait été superficielle. Il savait très bien et il croyait, pour l’avoir appris de Jansénius, de saint Augustin ou même de saint Paul, qu’attribuer aux facultés naturelles de l’homme le pouvoir de contribuer à notre salut, c’est anéantir l’œuvre de la Croix, et qu’une pareille doctrine est abominable. Son esprit scientifique le prédisposait à la négation du libre arbitre, qu’il traite de sottise et d’orgueil, les vrais savans ayant toujours eu plus de peine que les hommes ignorans et légers à concevoir des commencemens absolus, des initiatives indépendantes et indéterminées, des phénomènes sans cause et sans lien. Enfin il professait bien effectivement le christianisme, puisque, le 17 octobre 1651, il écrivait à sa sœur aînée, Mme Périer, une belle lettre de consolation chrétienne sur la mort de leur père. « Considérons la mort en Jésus-Christ, disait-il dans cette lettre. Sans Jésus-Christ elle est horrible, elle est détestable, et l’horreur de la nature. En Jésus-Christ elle est tout autre… » Il écrivait cela d’après Saint-Cyran, et sa raison était convaincue, mais son cœur n’était pas profondément touché. Janséniste déjà fervent et prêt à la grande bataille, il n’était pas encore le chrétien vraiment converti qu’il fut durant les neuf dernières années de sa vie.

Par une succession qui est devenue rare, tandis que la marche

  1. Boutroux, Pascal dans la Collection des grands écrivains français. — Lettre de Pascal à sa sœur, Mme Périer, du 26 janvier 1648.