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inverse est fréquente, le cœur, chez Pascal, était en retard sur la raison. C’est l’ordre contraire à celui du scepticisme ; c’est le drame intérieur de Sully Prudhomme renversé :

Le cœur dit : « Je crois et j’espère… »
L’intelligence lui dit : « Prouve. »

Pascal croit, de la foi qui est une doctrine ; il voudrait croire, de celle qui est une vie : il ne le peut. Pourquoi ? Évidemment, parce que la grâce lui manque. L’achèvement de son salut, c’est Dieu qui le fera. Et l’expédient divin (car Dieu se sert parfois de voies bien extraordinaires) sera d’abîmer Pascal dans le « bourbier, » pour employer le terme de sa jeune sœur Jacqueline.

Sainte-Beuve a écrit[1] que le bonheur et le caractère de Pascal, comme aussi des hommes de Port-Royal généralement, fut, quand ils se convertirent, de n’être jamais revenus de bien loin ; ils rentraient dans la religion étroite sans s’en être absolument écartés, sans avoir eu ni ruine de l’âme, ni aucun dérèglement fondamental. C’est vrai, à notre point de vue de chrétiens tièdes et d’hommes médiocres, mais non pas au point de vue des grands jansénistes qui se convertissaient. La sœur de Blaise ne ménage pas ses expressions. Elle parle du « grand abandonnement » où était « son pauvre frère » du côté de Dieu, et des « horribles attaches » qui retenaient son élan vers la délivrance La mère Angélique conserve peu d’espoir d’un miracle de la grâce « en une personne comme lui. » Lorsqu’il a enfin reçu cette grâce, Jacqueline s’étonne, « car il me semble, écrit-elle à son frère, que vous aviez mérité, en bien des manières, d’être encore quelque temps importuné de la senteur du bourbier que vous aviez embrassé avec tant d’empressement. » Et Pascal lui-même dira : « D’un homme plein de faiblesse, de misère, de concupiscence, d’orgueil et d’ambition, mon Rédempteur a fait un homme exempt de tous ces maux par la force de sa grâce à laquelle toute la gloire en est due, n’ayant de moi que la misère et l’erreur. » L’homme naturel en Pascal avait « l’humeur bouillante, » comme dit aussi Jacqueline. Il était superbe, emporté, dédaigneux, ironique, prompt à la colère et à la révolte. Voulant primer et dominer en tout, il perdait toute patience, — sous

  1. Port-Royal, t. II, note de la page 477.