Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 48.djvu/325

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lequel il pressait un cilice armé de pointes de fer quand il sentait en lui les aiguillons de ce qu’il appelait la concupiscence.


III

« Je suis seul. Je ne suis point de Port-Royal. » Cette ligne de la dix-septième Provinciale, qui a contristé comme un nouveau reniement de saint Pierre plus d’un admirateur de Pascal, est vraie à la lettre et même dans son esprit. En fait, Pascal n’appartenait pas à la communauté, et, par plusieurs choses essentielles, par sa façon de concevoir la science, la philosophie, la religion et leurs rapports, par la méthode qu’il suivit pour l’apologie du christianisme, il était bien seul et à part, il différait singulièrement de ses pieux maîtres et amis.

Port-Royal estimait, conformément à l’orthodoxie, que la vérité, étant une, ne peut se contredire ; que la raison et la foi viennent de la même source, que la première précède la seconde, y conduit, avec le secours de la révélation et de la grâce, et que le raisonnement suffit à prouver certaines vérités, telles que l’existence de Dieu et l’immortalité de l’âme. Saint-Cyran écrit dans sa Théologie familière à l’usage des enfans : on connaît Dieu « par la lumière et le sentiment imprimés naturellement dans nos âmes, par la beauté et l’ordre du monde[1]. » Singlin, Saci, Arnauld, Nicole pensent de même. Tous étaient cartésiens, goûtant le rationalisme scientifique de Descartes et goûtant aussi sa réserve et sa prudence en matière religieuse. Mathématiciens plutôt que savans, la foi qu’ils demandaient était nue et simple ; ils se défiaient des détours et des complications, lors même que la vérité en était le but et le terme, comme d’une séduction de l’orgueil de savoir.

Dans l’entretien célèbre avec Saci, Pascal scandalise un peu son interlocuteur en osant avouer l’immense intérêt qu’il a pris à la lecture d’Epictète et de Montaigne. Saci traite rudement leurs écrits de « viandes dangereuses » et de « poisons. » Pascal, poli, « prêt à renoncer à toutes les lumières qui ne viendraient pas » d’un tel docteur, consent à reconnaître « le peu d’utilité que les chrétiens peuvent retirer de ces études

  1. Cité par E. Droz, Étude sur le scepticisme de Pascal, p. 92.