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dramatisant tout ce qui peut être groupé autour de ces idées générales : la misère de l’homme sans Dieu, les raisons et les moyens de croire, l’impuissance de la philosophie, etc. ; après quoi serait venue, sous forme apodictique, la partie plus spéciale de l’ouvrage : les fondemens de la religion chrétienne, la tradition de l’Eglise, les preuves de la Révélation écrite dans la Bible et vivante en la personne de Jésus-Christ, les prophéties, les miracles, etc. Le moi étant haïssable, ce n’est pas son roman personnel que Pascal nous eût raconté dans la première partie ; mais supposant un « honnête homme » dans le genre de Méré, il aurait mis à nu impitoyablement sa « contrariété » fondamentale ; il l’aurait tellement découragé et par le spectacle de lui-même et par celui du néant des efforts de l’esprit humain à travers toute l’histoire, que notre homme, au désespoir de comprendre le sombre mystère de sa destinée,… sera sur le point de chercher une tragique issue à cet état violent — dans le suicide[1] !

Pascal « découvre » alors à son malheureux ami « un certain peuple, » le peuple juif, et voici venir toute la suite de la vérité révélée, du péché originel à la Rédemption, promise dès la Genèse, confirmée par les prophéties et par leur accomplissement, confirmée surtout par les miracles et apportée au monde dans la personne céleste et dans la croix de Jésus-Christ. L’auteur des Pensées attachait un grand prix, — le prix principal, n’en doutons pas, — à cette partie de son apologie où il fait de l’histoire, où il montre que Moïse a vécu, qu’il n’était pas un imposteur, que ses livres n’ont pu être falsifiés après sa mort, que les apôtres n’étaient pas des fourbes non plus, que leur sincérité est évidente, et qu’elle éclate dans le style des Evangiles, si remarquable par sa « froideur, » c’est-à-dire, en notre langue moderne, par son objectivité. Le savant, épris d’exactitude, curieux de réalités concrètes, goûtait un plaisir particulier à peser des témoignages, à vérifier des faits, et, pour lui, les

  1. Cette péripétie inattendue d’un suicide surprend un peu moins quand on connaît les lignes suivantes de la longue analyse donnée par Filleau de la Chaise : « Enfin, écrit l’auditeur de Pascal, plutôt que d’en choisir aucune [religion], et d’y établir son repos, il prendrait le parti de se donner lui-même la mort, pour sortir tout d’un coup d’un état si misérable ; lorsque, près de tomber dans le désespoir, il découvre un certain peuple qui, etc. »