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elle est vaine, pis que cela, elle est périlleuse, car il n’y a ni lien, ni passage, ni union, ni aucune espèce de rapport entre la contrainte exercée sur l’intelligence par la force d’un raisonnement logique, et la foi religieuse, qui est un sentiment de l’âme. Mais voici le roc et la « pierre de l’angle : » la seule chose qui puisse nous persuader durablement, c’est l’harmonie du Christ avec la conscience, c’est de sentir que la religion chrétienne est à la fois l’explication complète et l’aspiration profonde de notre nature.

« La conduite de Dieu, dit Pascal, est de mettre la religion dans l’esprit par les raisons, et dans le cœur par la grâce. » — « Il se rendait bien compte, écrit M. Strowski, que même si son livre produisait une conviction irrésistible, cette conviction ne serait pas vraiment la foi ; la grâce est nécessaire pour la foi ; la démonstration, ce n’est pas l’âme de la foi, ce n’en est que l’instrument. » — « Plût à Dieu, s’écrie encore Pascal, que nous n’eussions jamais besoin de la raison !… Ceux à qui Dieu a donné la religion par sentiment du cœur, sont bienheureux… Sans cela, la foi n’est qu’humaine et inutile pour le salut. »

Ce passage éclaircit un des sens du mot cœur, qui, dans la langue de Pascal, pourrait bien avoir trois significations. Il signifie d’abord l’intuition, l’instinct, puisque c’est par le cœur que nous connaissons les premiers principes, le mouvement, les nombres, le temps, l’espace et ses trois dimensions. Il signifie aussi l’esprit fin et subtil dont la pointe pénètre, par delà les simples abstractions, domaine de l’esprit géométrique, dans les replis obscurs de la vie. Et enfin il veut dire tout bonnement le cœur, « l’ordre de la charité, » l’amour. Tel est le sens du mot dans le passage que je viens de citer et dans la plupart de ceux où Pascal oppose le cœur à la raison comme le grand et seul organe de la foi chrétienne.

Le Dieu du cœur, « le Dieu des chrétiens, » n’est pas l’idée abstraite du cartésianisme, ni le Dieu de la philosophie païenne, de la religion naturelle, simplement créateur du monde et providence du genre humain : « c’est un Dieu d’amour et de consolation, c’est un Dieu qui remplit l’âme et le cœur de ceux qu’il possède, c’est un Dieu qui leur fait sentir intérieurement leur misère et sa miséricorde infinie ; qui s’unit au fond de leur âme ; qui la remplit d’humilité, de joie, de confiance, ’d’amour ; qui les rend incapables d’autre fin que de lui-même. »