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intimes ; ailleurs, c’est 1000 francs la strophe, et je n’en dis jamais moins de trente. »

Nos devanciers du XIVe siècle le portaient moins haut ; non seulement ils chantaient et contaient les œuvres d’autrui aussi bien que les leurs, « bourdes » ou épopées, jeux partis ou pastourelles, mais ils jouaient toutes sortes d’instrumens et, comme les cafés-concerts actuels, étoffaient leur programme de gymnastique et de pantomime. Montreurs d’animaux ou faiseurs de tours, avant que la scission ne fût définitive entre la littérature et l’escamotage, il faut avouer que, parmi les auteurs-acteurs du temps des premiers Valois, les plus saltimbanques ne sont pas les moins rétribués.

Aux quatre ménestrels de « monsieur le connétable » du Guesclin il est distribué 710 francs ; ceux du comte de La Marche reçoivent 570 francs ; un autre, à lui seul, 360 francs. Mais tandis que des fableurs, dont les mérites ne sont pas indiqués, se contentent de 18 et de 43 francs d’honoraires, il est octroyé 72 francs à un « baladin, » 136 francs à « un homme contrefaisant le cheval trottant et ambiant, » et 224 francs à un « joueur d’adresse. »

La mode était venue pourtant d’héberger des ménestrels à traitement fixes : nous en trouvons quatre, à la cour du comte de Roussillon, appointés chacun de 3 700 francs par an. Ce n’était pas un prix d’homme de guerre : le chevalier, accompagné d’un « pillart » et d’un page, se paie le double la même année dans la même ville ; mais c’était un honnête prix d’homme de robe : à l’inquisiteur du Comté il n’est baillé que 2 600 francs par an (1427). Grandis en dignité, les gens de lettres familiers des seigneurs dont ils portaient la « livrée, » firent refuser l’entrée des manoirs aux jongleurs nomades, avec qui c’était injure de les confondre.

Mais eux-mêmes, dans leurs « dits » solennels et subtils, perdirent le franc génie de leurs prédécesseurs immédiats sans retrouver la flamme épique des trouvères ; preuve que le talent des lettrés n’a rien à voir avec le rang ou le revenu des lettres, ni d’ailleurs avec l’influence des écrivains. Ce sont domaines distincts, gouvernés par des lois particulières. Si le public n’a pas toujours les plaisirs qu’il veut payer, il ne paie en tout cas que les plaisirs qu’il veut avoir, et, s’il n’a point de part à la gestation des belles œuvres, il peut contribuer à la création des