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Dépossédé à nouveau par la chute du ministre, Corneille fut compris plus tard pour 6500 francs sur une liste de cinquante-neuf gens de lettres dressée par Chapelain et Costar. Il rima son remerciement obligatoire au Roi, et se crut tranquille. La première année ces gratifications furent portées chez les intéressés, à domicile, dans des bourses d’or « les plus propres du monde ; » l’année d’après, dans des bourses de cuir ; puis on alla les toucher à la trésorerie des bâtimens. Les années eurent ensuite quinze à seize mois.


Puissent tous vos ans être de quinze mois,
Comme vos commis font les nôtres,


écrivait Corneille à Louis XIV, en se plaignant du retard. « Je suis saoul de gloire et affamé d’argent, » disait le grand homme à Boileau ; mais les gens de lettres devaient attendre que les maçons des constructions royales fussent payés.

En 1674, Corneille était rayé définitivement de la liste, réduite elle-même d’un tiers ; quelques mois avant sa mort, Boileau lui fit obtenir un cadeau de 6 000 francs, par l’intermédiaire de Mme de Montespan, disent les uns, ou, suivant d’autres, du Père de La Chaise. Que l’intervention vînt de la maîtresse ou du confesseur, elle n’eut pas à se renouveler ; le grand Corneille mourut, non pas dans la misère, mais gêné et à demi ruiné, quoiqu’il n’eût cessé de courir après un peu d’argent. Eût-il fait fortune avec notre public bourgeois ? Le « tout Paris » du XXe siècle aurait-il eu les yeux de Rodrigue pour une Chimène modernisée ? Rien n’empêche de supposer que l’héroïsme envers ait gardé son prestige. De nos jours, plusieurs Cids pour dames et enfans ont réalisé de formidables recettes sur les boulevards.

Racine lui aussi fut accusé d’aimer l’argent, parce qu’il prétendit monnayer sa gloire. Fils de petit fonctionnaire au traitement de 2 000 francs, le jeune Racine avait fait, aux environs de la vingtième année, une chasse aux bénéfices assez infructueuse, bien que fertile en procès, dont il ne tira que deux méchans prieurés.

Le théâtre, quand il y débuta, rendait un peu plus qu’au temps de Louis XIII : il eut « deux parts de comédien » comme droits, pour les Frères Ennemis et sans doute pour les pièces suivantes. Lorsqu’il se maria (1677), après avoir fait représenter toutes ses tragédies, sauf Esther et Athalie, elles ne lui avaient