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suite réprimander l’enfant ; si bien que Boileau, présent à l’entretien, perdit patience et s’écria : « Quelle insensibilité ! Peut-on ne pas songer à une bourse de mille louis. »

Racine qui avait acheté, comme placement, une charge de « secrétaire du Roi, maison et couronne de France, » possédait aussi, depuis Athalie, le traitement de « gentilhomme ordinaire de la chambre, » titre que portait son fils aîné. Il songeait à marier cet héritier, et nous pouvons juger de sa situation pécuniaire par la désinvolture avec laquelle il parle d’une jeune personne qui apporterait 290 000 francs de dot, et « qui en a autant ou environ à espérer après la mort de père et mère, » mais dont il repousse l’alliance parce que ses parens « sont encore jeunes tous deux et peuvent au moins vivre une vingtaine d’années. » Ainsi, écrit-il à son fils, vous, couriez risque de n’avoir longtemps que (14 000 francs) de rente, chargé peut-être de huit ou dix enfans avant que vous eussiez trente ans. Vous n’auriez pu avoir ni chevaux, ni équipage ; les habits et la nourriture auraient tout absorbé. »

Nous savons donc que Racine, à sa mort, jouissait avec sa femme d’environ 55 000 francs de revenus ; il laissait aux siens des finances prospères ; mais dans cette prospérité de l’auteur dramatique, ce qui lui venait du théâtre ne comptait presque pour rien.

Le seul, parmi les maîtres du XVIIe siècle, qui ait semblé vivre de ses pièces, c’est Molière. Encore n’est-ce qu’en apparence, on le verra plus tard : son budget personnel est si intimement lié à celui de sa troupe, qu’il est impossible de séparer en lui, au point de vue des recettes, l’acteur de l’écrivain, ni du directeur de théâtre. On était loin en 1660 des règlemens modernes, qui défendent aux directeurs de toucher des droits sur leur propre scène. Molière directeur montait les pièces de l’auteur Molière et lui attribuait des droits convenables, avec l’autorité absolue qu’il avait sur sa troupe. S’il avait dépendu de la générosité d’un imprésario, il n’aurait sans doute recueilli de ses œuvres que de maigres profits et, s’il ne les avait pas interprétées lui-même, il n’eût pas gagné moitié autant puisque ses parts de comédien dépassèrent de beaucoup ses droits d’auteur. Après lui, les recettes du théâtre grossirent ; elles atteignirent au XVIIIe siècle des chiffres assez notables, mais jusqu’à Beaumarchais les écrivains dramatiques en profitèrent peu.