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Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 48.djvu/414

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Londres, ce dont s’inquiète la police française, autorise à penser que cette puissance a été animée d’un désir analogue à celui de l’Espagne. On va voir enfin par des témoignages plus positifs que c’est aussi le désir de la Russie. Il nous est révélé par une lettre du ministre russe, le prince Czartorisky, à Strogonoff, écrite le 9 août 1805, alors qu’à Saint-Pétersbourg, on ignore encore que le général Moreau s’est embarqué pour les États-Unis.

« Il nous est revenu que le général Moreau, appréciant dans sa retraite la manière d’agir de notre Auguste souverain dans les circonstances critiques où se trouve l’Europe, avait, à plusieurs reprises, fait entrevoir que, si jamais il se décidait à entrer au service de quelque puissance étrangère, il ne passerait qu’à celui de la Russie.

« L’acquisition d’un homme du mérite et de la réputation du général Moreau, pouvant être de la plus haute importance dans l’état actuel des affaires, surtout par l’influence qu’il doit avoir conservé en France, Sa Majesté Impériale vous charge, monsieur, de chercher à vous assurer plus particulièrement des dispositions qu’il a énoncées, et, si le résultat de vos recherches était conforme à ce qui nous est revenu, de lui faire des insinuations propres à le gagner pour le parti de la bonne cause. Vous pourrez vous servir à cet effet d’un des employés de votre mission et préférablement de M. de Hongberg, que vous enverrez auprès du général, si cela peut se faire sans trop risquer, en le munissant d’instructions sur la manière dont il devra s’y prendre avec lui et sur le langage qu’il lui tiendra.

« Il serait à désirer sans doute de pouvoir engager le général à entrer au service de la Russie, qui lui offrirait, outre le même grade qu’il avait en France, tous les avantages et les distinctions auxquels il a droit d’aspirer ; mais, comme il répugnera peut-être à ses principes de se prêter à une pareille proposition dans un moment où l’on peut s’attendre à une guerre prochaine contre le gouvernement français, vous ne manquerez pas en tout cas de lui offrir une retraite honorable dans les États de l’Empereur, où il serait à l’abri de toute persécution de la part de ses ennemis.

« Vous lui ferez sentir en même temps, que l’on désire simplement tirer parti de ses lumières et de son expérience pour terminer le plus tôt possible une guerre qui, si elle a lieu, n’aura été entreprise que pour mettre un frein à l’ambition démesurée