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I. — LES SYNDICALISTES AU CONGRÈS DE MARSEILLE

Le dixième Congrès confédéral a siégé à Marseille du 5 au 10 octobre, sous le coup d’une récente défaite, de l’instruction poursuivie contre les principaux chefs et des menaces de dissolution de la Confédération engagée dans des voies illégales, contraires à ses buts purement corporatifs. Ce Congrès était appelé à décider si les syndicats modérés et pondérés, tenus en échec par un mode de scrutin qui semble assurer la prépondérance des agités, parviendraient à secouer le joug des syndicalistes révolutionnaires et des anarchistes responsables. La question intéressait ouvriers et patrons et passionnait tous les partis : les employeurs, exposés à des grèves que les émissaires du Comité confédéral transforment en émeutes, et menacés du sabotage ; les gouvernans, qui ne voient pas sans appréhension des fonctionnaires, des sous-agens des postes, des instituteurs, se joindre aux ouvriers de l’État, des arsenaux, des tabacs, etc., incorporés à la Confédération ; les francs-maçons, ces nouveaux jacobins, inquiétés, dans leur domination, par ce nouvel hébertisme ; les socialistes unifiés eux-mêmes, compromis devant le corps électoral et devant la Chambre par la violence des grévistes, par le prosélytisme des antipatriotes, les journaux meurtriers, les affiches incendiaires qu’ils n’osaient désavouer. Tous souhaitaient un changement de système et de dynastie au bureau confédéral. Au sein même de la Confédération, de grandes fédérations réformistes, la plus intelligente par profession, celle du Livre, que M. Keüfer dirige sur le modèle du Trade-unionisme, le syndicat des chemins de fer, qui a pour secrétaire M. Guérard, organisaient des référendums contre le principe de la grève générale, préconisée par la C. G. T. Grâce à cette consultation préalable, ils se flattaient de peser sur les décisions du Congrès. M. Jaurès, dans l’Humanité, apportait à cette entreprise le feu de son éloquence. Sans rompre ouvertement en visière aux syndicalistes de gauche, il demandait que la grève qui exige le concours de tous les ouvriers et qui les atteint tous, fût décidée à leur universel suffrage, comme s’il était aisé d’obtenir en France la soumission des minorités ! Mais il dut interrompre brusquement une campagne impopulaire chez les militans, parce qu’elle impliquait un blâme indirect des meneurs captifs, et pouvait fournir des argumens à leurs juges.