diverses, l’un par l’Italien Frédéric Zucharo, l’autre par le Flamand Gheeraerdts, s’accordent à nous montrer une même Elisabeth, écrasée sous le poids de ses robes et de ses bijoux, immobile, silencieuse, d’une froideur de cadavre, sphinx à jamais impénétrable avec un sourire qui fait peur ; et voici son vieux : ministre Cecil, solennel et rusé, pareil à un gros chat sous les fourrures dont il est tout couvert ; et voici son jeune amant Leicester, sanglé dans un justaucorps d’où émerge, par-dessus une fraise empesée, un plat visage de bellâtre satisfait et cynique. Ou bien encore voici trois prêtres, profondément dissemblables malgré la similitude de leur costume : l’aristocratique et affable cardinal Pôle, évoqué par Sébastien del Piombo avec une simple vigueur de relief tout « raphaëlesque ; » le cardinal Allen, souriant et sceptique, type parfait du gentleman anglais ; et le vieux jésuite Parsons, dont le visage ridé nous raconte une longue vie partagée entre l’intrigue et la méditation. Mais aucun de ces portraits n’attire plus instamment notre curiosité, ni ne nous parle un langage plus précis et plus clair que ceux de l’infant Philippe et de sa seconde femme, Marie « la Sanglante. »
Je regrette cependant que, pour ce qui est de Philippe, M. Hume ait cru devoir reproduire, parmi les nombreuses images que le génie de Titien nous a laissées de lui, le grand portrait en pied du musée de Madrid. Un autre portrait, conservé aujourd’hui dans une collection parisienne, et dont une copie se trouvait jadis à Munich chez le peintre Lembach, nous renseigne avec bien plus d’éloquence sur l’âme du modèle. Le jeune prince y est assis devant une fenêtre ouverte, où s’encadre l’un de ces coins de forêt qui sont, peut-être, les paysages à la fois les plus naturels et les plus poétiques de toute la peinture ; mais nous devinons sans peine que ce paysage prodigieux n’est là que pour le ravissement du spectateur et pour celui du peintre, sans que jamais l’homme assis en face de lui éprouve la curiosité de le contempler. Il a le regard tourné vers nous, à présent, un regard d’une fixité et d’une lourdeur singulières, comme si ses gros yeux et son cerveau avaient coutume de se mouvoir lentement et malaisément. Le long visage, entouré d’un peu de barbe blonde, ne serait pas dépourvu d’une certaine beauté, si nous n’étions aussitôt choqués par la saillie, mal dissimulée, de l’épaisse lèvre inférieure ; et l’intelligence non plus n’en est pas absente, sous le front large et droit, ni même un goût instinctif du devoir, à défaut de bonté. Certes, le placide personnage qui nous apparaît ici n’a rien de la brute fanatique et sanguinaire dont volontiers son nom éveille en nous