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pour nier que ses dispositions fussent conformes à la justice. Cependant beaucoup ne s’inquiétaient que de savoir si le succès justifierait la mesure et ne le croyaient pas.

Les partisans de l’expropriation répliquèrent par l’argument de « nécessité, » que Renan appelle « la racine de toutes les perturbations dynastiques, » et dont nul homme d’Etat n’a fait autant d’usage que le prince de Bülow. Sur la foi de quelques gazettes, les adversaires se laissaient aller à croire que l’Empereur se désintéressait du projet. Le ministre des Finances vint donner à la Commission de la Chambre des seigneurs l’assurance que Sa Majesté persévérait dans les vues de son gouvernement[1]. L’instinct national dans le désarroi semblait chercher un arbitre : « Qu’aurait fait Bismarck ? » La voix de ce grand mort domine toujours la rumeur de la foule allemande et dirige souvent encore les débats parlementaires. Pour répondre à cette question, on fit l’exégèse des écrits, des paroles, des intentions du chancelier de fer. Le gouvernement invoqua son autorité ; il apporta la preuve à la Commission de la Chambre des seigneurs et à la tribune du Landtag que le prince de Bismarck avait eu, le premier, l’idée d’exproprier les Polonais. Dans la discussion de la loi de colonisation, il avait, le 28 janvier 1886, envisagé cette possibilité en ces termes[2] : « On se demande si la Prusse, dans son intérêt et dans celui de l’Empire allemand, ne sera pas amenée par les circonstances à débourser 100 millions de thalers pour acquérir les biens de la noblesse polonaise, — parlons clair et net, pour exproprier la noblesse. (Oh ! oh !) Cela paraît monstrueux, mais quand nous exproprions pour un chemin de fer, quand nous démolissons les maisons, traversons les cimetières, uniquement pour la commodité d’une compagnie de chemin de fer, quand nous exproprions pour construire un fort, pour percer une rue, quand nous exproprions t(i>ut un quartier dans une ville, comme à Hambourg, pour bâtir un port, nous détruisons des habitations qui existent depuis des siècles : pourquoi dès lors un État ne pourrait-il pas, dans certaines circonstances, garantir sa sécurité dans l’avenir et s’assurer la tranquillité ? La sécurité n’est-elle pas un but supérieur au commerce,

  1. Chambre des seigneurs, Bericht der IX Kommission über den Entwurf eines Gesetzes über Massnahmen zur Stärkung des Deutschtums in den Provinzen West-preussen und Posen, p. 15.
  2. Bismarcks Reden, t. IX, p. 155.