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politique et revendiquent une participation plus directe au pouvoir. Contre la constitution, le gouvernement invoquait « le bien public, » — qui a toujours servi de prétexte pour renverser les trônes. — « Nous sommes inquiets pour notre monarchie de droit divin, disait le comte Praschma[1], parce que nous voyons que son plus solide fondement est sapé par cette loi. » L’expropriation pour « motifs politiques » préoccupait davantage les esprits et donna lieu à des considérations pessimistes. Celui qui l’a conseillée au gouvernement, disait-on, lui a rendu un mauvais service[2] ; si elle est votée, on y pensera souvent avec douleur[3]. Le ministre des Finances niait l’existence de raisons politiques en les baptisant nationales. Cette distinction casuistique est inacceptable : le concept « politique » contient le national, le social, le confessionnel et beaucoup d’autres. Si on l’applique aujourd’hui pour des raisons « nationales, » qui peut empêcher de le faire demain pour des raisons sociales ou confessionnelles[4], d’exproprier, par exemple, les Juifs qui acquièrent des terres tous les jours en plus grande quantité ?

L’expropriation n’a atteint jusqu’ici que l’objet, la matière, le sol, sans considération du possesseur, qu’il fût grand seigneur ou petit paysan, homme d’Église ou prince de sang royal. Aujourd’hui, on vise le sujet de la propriété, les mains qui la détiennent. L’expropriation est dirigée contre les personnes et non contre les choses[5]. C’est l’entrepreneur, la Commission de colonisation, qui décidera selon son bon plaisir, au nom du « bien public, » formule qu’elle appliquera contre quiconque, Polonais ou Allemand, gênera ses desseins. Or, la Commission de colonisation est une institution politique qui dépendra de plus en plus des partis. Et la majorité parlementaire soumise à la loi du nombre peut changer. En 1886, le député Bebel disait : « Le chancelier croit nous tenir, c’est nous qui le tenons ; » et il ajoutait récemment : « Cette mesure de l’expropriation est absolument conforme à notre programme ; elle est limitée aux provinces

  1. Chambre des députés, Stenog. Ber., 16 janvier 1908, p. 664.
  2. Chambre des seigneurs, 26 février 1908, p. 504 (comte de Mirbach-Sorquitten).
  3. Id., ibid., 30 janvier, p. 43 (Dr Bender).
  4. Chambre des seigneurs, Stenog. Ber., 30 janvier, p. 32 (comte de Tiele-Winckler).
  5. Chambre des députés, Stenog. Ber., 29 novembre 1907, p. 64 (Dr Porsch, centre).