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du peuple au pouvoir par la conquête révolutionnaire du suffrage universel et direct. Il advint, sinon nécessairement du moins historiquement, que ce fut aussi la fin de la monarchie héréditaire.

Au lendemain du vote de la loi d’expropriation, un historien allemand nous disait : Le chancelier de l’Empire a gagné une bataille contre le roi de Prusse.

Le parti conservateur mit une singulière insistance à faire qualifier de loi d’exception Ausnamegesetz, la loi d’expropriation, afin qu’elle ne pût pas être invoquée comme un fâcheux précédent[1]. Par cette clause de prudence, on se proposait d’endiguer la coulée logique des idées qui produisent les grandes érosions sociales, dans un pays où les plus nébuleuses métaphysiques sont pourtant devenues de l’action, au cours du siècle passé. Cave a consequentiariis, disait Leibniz.


V

Pendant la discussion de la loi, une question jaillissait sans cesse des consciences troublées : comment et contre qui sera-t-elle appliquée ? Elle sera appliquée « sans étroitesse de cœur bureaucratique, » répondit le prince de Bülow. Et l’on insinuait officieusement qu’on ne voulait pas en faire usage, du moins de longtemps ; qu’on s’en servirait comme d’une menace pour rendre possibles les ventes à l’amiable. On s’adressera, par exemple, à un homme endetté, — et on lui laissera entendre que son bien cédé sans autre forme de procès vaut plus, exproprié vaut moins. — Sans doute, il y aura des propriétaires qui tomberont dans ce piège, mais ils ne seront pas assez nombreux pour permettre à la Commission de colonisation de réaliser son plan sans violence. Depuis vingt-deux ans, elle a acheté toutes les terres polonaises qui se trouvaient en mains défaillantes et aujourd’hui peu de biens sont dans une situation désespérée. En outre, les sentimens réveillés dans les cœurs par la lutte pour le sol se sont condensés en un dogme moral : tout Polonais qui vend sa terre à un Allemand est un traître déshonoré. Donc, la Commission de colonisation sera

  1. M. de Oldenburg, Chambre des députes, Stenog. Berichte, 20 novembre 1907, p. 100 ; Prince de Bülow, Chambre des seigneurs, Stenog. Berichte, 30 janvier 1908, p. 24.