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réduite à la nécessité d’exproprier. Dans ce cas, nul ne devra marchander, afin qu’elle ne puisse pas dire qu’on a fait avec elle un marché volontaire ; et elle aura intérêt à le soutenir, car chaque expropriation sera une soustraction au chiffre fixé par la loi. Nul ne devra quitter le pays ; le déraciné se replantera dans le voisinage. Cette tactique était prévue, et l’on s’inquiéta beaucoup, au Landtag, de savoir ce que deviendraient les Polonais expropriés. On craignait qu’ils ne se répandissent dans les provinces limitrophes et qu’alors le mal ne gagnât en surface sans diminuer d’intensité. Ces craintes sont exagérées, répondait le gouvernement. D’après les statistiques dressées par la Commission de colonisation, sur 170 Polonais qui lui ont vendu leurs biens, 14 pour 100 ont racheté de la terre en Posnanie et en Prusse occidentale, 0,6 pour 100 dans une province voisine. D’ailleurs, on envisage le « danger » et on y parera, s’il y a lieu, par une loi interdisant le morcellement en Silésie et dans certains cercles de la rive droite de l’Oder où les spéculateurs seraient tentés de profiter de la hausse actuelle des prix pour acheter des terres et procéder à des lotissemens.

S’il faut attendre que la loi d’expropriation mise en vigueur nous ait fourni des chiffres et des faits pour parler de ses résultats économiques et politiques, on peut cependant noter déjà l’impression pénible qu’elle a produite sur l’esprit de la population comprise dans son champ d’action. Nous avons vu que les Allemands de l’Est, propriétaires, commerçans et bourgmestres, étaient hostiles à cette mesure. Les uns craignent une baisse du prix des terres, les autres un assaut plus violent contre le Germanisme dans les villes, où il est représenté par une bourgeoisie adonnée aux affaires. Et ils se demandent avec inquiétude jusques à quand durera ce régime d’exception, car ils ne doutent pas que le gouvernement n’obtienne du Landtag l’autorisation réitérée d’exproprier plusieurs fois 70 000 hectares. L’histoire aux enseignemens de laquelle on s’est si souvent reporté dans ces débats, semble bien en effet condamner les hommes à continuer par la force ce qu’ils ont commencé par la force.

A la vérité, l’expropriation sera plus cruelle pour les sentimens que pour les intérêts des Polonais. L’exproprié sera dédommagé par une Commission nommée à cet usage, et si l’indemnité ne lui paraît pas suffisante, les tribunaux estimeront en toute justice et en dernier ressort la valeur matérielle de la terre. La