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leure besogne si l’État-major général fixait les idées en disant aux constructeurs et aux fabricans : Voilà ce qu’il nous faut !

En Angleterre, où l’on a beaucoup de sens pratique, la marine proclame ses desiderata, qu’il s’agisse de bâtimens ou de canons, et les fait exécuter. Non seulement l’Amirauté (six membres : deux parlementaires et quatre marins) achète elle-même ses canons et ses munitions, mais son inspection d’artillerie navale, de création récente, contrôle minutieusement ces achats. En réalité, l’Amirauté dirige la fabrication des armes et des munitions de la flotte.

Par quelle aberration la marine française est-elle sortie de cette voie ? Pourquoi n’a-t-elle pas résisté aux empiétemens successifs des services producteurs ? Ici, la responsabilité est effective, et quand une affaire tourne mal, n’est-ce pas l’utilisateur qui est justiciable des Conseils de guerre ? Pourtant, en temps ordinaire, l’officier de vaisseau n’a d’avis à émettre et de conseil à donner, ni pour la construction, ni pour la fabrication. À Paris, dit-on, les conseils chargés d’examiner les plans comprennent des marins en majorité. Cela est vrai ; mais le Conseil supérieur, le Comité technique, planent très haut ; ils arrêtent les lignes principales et le détail infini leur échappe. Or, en artillerie surtout, rien n’est indifférent pour arriver à la précision ; chaque détail a son importance. Une réforme d’ensemble est donc urgente ; car rien ne changera, tant que les services désunis, conservant jalousement leurs monopoles, continueront à imposer leurs poudres, leurs projectiles, leurs canons et leurs tourelles. Actuellement, l’utilisateur ne peut tirer de l’artillerie tout ce qu’elle devrait rendre : le pointage manque de précision, le tir est trop lent, et la portée, souvent incertaine.


Si l’artillerie navale est le symbole de l’instabilité, on peut considérer l’arsenal comme étant celui de la confusion. Aussi réclame-t-on depuis longtemps une réorganisation devenue indispensable. Et si les ministres reculent tous devant une refonte générale, c’est que la limitation des crédits et la multiplicité des arsenaux ne leur permettent pas autre chose que l’adoption d’expédiens au jour le jour. Tout est prêt, néanmoins, pour une œuvre d’ensemble, les enquêtes ayant fourni les élémens désirables au sujet des approvisionncmens, de la modernisation de l’outillage, des procédés administratifs et des conditions du travail.