Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 48.djvu/649

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ordre, Nesselrode remit à Talleyrand une note où était rappelée la conduite de Moreau et qui sollicitait pour sa veuve et pour sa famille les récompenses qui lui avaient été promises, ou tout au moins l’équivalent de celles que sa mort ne permettait plus de lui décerner. D’après ces promesses, Moreau, à en croire l’impérial avocat de sa veuve, aurait été nommé, s’il eût vécu, « connétable de l’Ordre du Saint-Esprit[1]. » Puisqu’il ne pouvait jouir de cet honneur, n’était-il pas juste que le Roi exprimât, dans un acte public, le regret d’être empêché de le lui accorder ? En outre. Sa Majesté voudrait-elle souffrir que la veuve du général fût aujourd’hui « une simple particulière et non titrée, » tandis que si elle n’eût pas eu le malheur de perdre son mari, elle eût possédé les titres que le Roi destinait à celui-ci ? L’Empereur demandait donc pour elle des faveurs octroyées « par des lettres patentes » où seraient relatés le dévouement du général à la cause royale, les intentions bienveillantes de Sa Majesté à son égard, ainsi que ses promesses et qui, pour conclure, accorderaient à Mme Moreau le titre de duchesse.

L’intérêt que lui portait le Roi n’avait pas besoin d’être excité. Il était resté tel qu’il l’avait manifesté en Angleterre, alors que Mme Moreau lui communiquait, par l’intermédiaire du comte de Blacas, les nouvelles que Rapatel lui envoyait du théâtre de la guerre. Mais Louis XVIII n’aimait ni les mises en demeure, ni qu’on lui dictât son devoir. Aucune suite ne fut donnée à la requête de l’Empereur de Russie et l’appui que ce prince prêta aux démarches de Mme Moreau, afin d’obtenir la révision du procès de 1804, ne les fit pas aboutir. Le Roi, qui savait quelle part avait eue son frère dans la conspiration de

  1. On tombe des nues en voyant le puissant protecteur de Mme Moreau réclamer l’exécution d’une telle promesse, alors qu’il est vraisemblable qu’elle n’avait jamais été faite. A quel moment aurait-elle pu l’être ? A Londres, Louis XVIII n’apprit que le 10 août l’arrivée de Moreau en Suède. J’ai eu sous les yeux : et j’ai reproduit dans mon Histoire de l’Emigration (t. III, p. 521) le questionnaire qu’il dressa pour être soumis au général et qu’il lui fit porter par l’émigré Bascher de Boisgely. Il résulte de cette pièce qu’il n’était pas encore assuré des dispositions de Moreau et il n’y est fait aucune allusion à des récompenses ultérieures. Peut-être, il est vrai, l’envoyé fut-il chargé de les promettre. Mais il ne put partir de Londres que le 12 septembre, ignorant que Moreau n’existait plus. Il l’apprit en chemin et par conséquent ne le vit pas. Comme il est certain que Moreau n’avait pu recevoir de promesse par une autre voie, il en faut conclure qu’il n’y en eut pas, à moins qu’elle n’eût été faite éventuellement à sa femme, et il ne semble pas que Louis XVIII l’ait jamais reconnu.