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l’Etat. Nous avons déjà vu ce qu’est le nombre, où il est, quel rapport il établit entre l’Etat et le travail. J’ai maintenant à montrer, mieux que je ne l’ai fait encore, quelle valeur sociale et quelle force politique a le travail dans l’Etat fondé sur le nombre.

Le travail est un fait éternel et universel. Il est aussi vieux que la terre et que l’homme. Les livres saints ont enseigné de génération en génération qu’il date de la première faute et qu’il fut la première misère du premier homme. C’est, d’après eux, la malédiction originelle : « Tu mangeras ton pain à la sueur de ton front. » Malédiction ou bénédiction, châtiment du père ou consolation des fils, en tout cas « forme de l’humaine condition, » il serait insensé d’en vouloir faire l’histoire, éternel qu’il est, dans tous les temps, universel, dans tous les pays. Peut-être l’entreprise serait-elle déjà vaine soit pour tous les temps dans un seul pays, soit pour tous les pays dans un seul temps, et peut-être même serait -elle déjà difficile pour un seul temps et un seul pays, si l’on prétendait embrasser, ne fût-ce que dans ce seul temps et dans ce seul pays, le domaine entier du travail. Nous nous sommes donc contenté de tracer à grands traits l’évolution de ce qu’on pourrait appeler « le travail dans l’Etat moderne » en France, depuis un siècle et demi, en tant que cette évolution intéresse la crise de l’Etat moderne chez nous, qui est tout notre sujet, en tant qu’elle nous en présente une des faces ou en expose une des données. Et encore, quand, de l’historique, nous sommes passés à la description des faits contemporains, à l’« enquête, » nous avons dû, sous peine de nous y perdre, nous enfermer en des limites prochaines, nous restreindre à une seule espèce de travail, le travail manuel ; à un seul genre de cette espèce, le travail manuel dans la grande industrie ; et à cinq ou six familles de ce genre, à cinq ou six industries-types, les plus grandes de la grande industrie, celles où les établissemens sont le plus vastes, les ouvriers le plus nombreux, le travail le plus concentré : mines de houille, métallurgie, construction mécanique, industries textiles, verrerie ; lesquelles, pour toutes les raisons de l’ordre économique et de l’ordre politique que nous avons déduites, sont éminemment représentatives du travail moderne, du travail dans l’Etat moderne.

Mais pourquoi depuis un siècle et demi ? Nous avons pris « le nombre » au moment où, — l’égalité de droit étant proclamée,