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D’un groupe à l’autre, d’une classe à l’autre, d’un camp à l’autre, l’action, pour ne pas dire la bataille, est engagée économiquement et politiquement. Voici le peuple, dont on a pu écrire qu’il était « à la fois misérable et souverain, malheureux et législateur. » C’est le plus grand nombre du nombre, le Puissant de la toute-puissance. Il est pauvre et il est le maître ; il n’a pas l’argent et il a l’État. Comment ne serait-il pas porté à employer sa souveraineté contre sa misère, la loi, qu’il fait ou qu’il inspire, pour adoucir le malheur qu’il subit, et, parce qu’il est pauvre, sinon pour s’emparer de tout, du moins pour avoir davantage, pour avoir assez ; bien plus encore, pour faire que ce ne soient pas toujours les mêmes, — et le petit nombre, — qui aient tout ou qui aient trop ? De là une certaine tendance, sinon à brimer ou à opprimer le capital, — ce seraient sans doute des expressions encore un peu fortes, — du moins à le brider, à le comprimer, à le regarder avec une méfiance jalouse, à resserrer autour de lui la surveillance, à prendre contre lui des précautions, à lui faire dans la législation un « traitement de défaveur, » et, d’un seul mot, à le primer, au profit de soi-même, du travail. Comme on ne saurait penser aie supprimer tout à fait, ni même à réduire son rôle dans la production, quand sa coopération, au contraire, est rendue plus nécessaire que jamais par la concentration de l’industrie, ira-t-on, — si cette tendance s’accentue, et ne pouvant, d’une part, se passer de lui, ni, d’autre part, ne pas se sentir en antagonisme avec lui, — jusqu’à essayer de résoudre radicalement la contradiction, en liant à l’organisation du travail l’organisation du crédit, au moyen de l’expropriation, de la socialisation ou de la nationalisation du capital ? Ecoutera-t-on la voix des bons apôtres, et, sur leurs conseils, courra-t-on saisir l’argent où il est ? Ou bien se contentera-t-on de rogner la tranche aux écus, de rémunérer moins ce collaborateur accaparant, de le frapper, de le charger davantage, de le traiter, à son tour, en subordonné ? Question que ce n’est peut-être pas le lieu de poser, mais qui se pose, ou se posera, avec ce que renferme d’inquiétudes et de menaces, cet enchaînement logique : le nombre qui est le pouvoir, la loi qui sert d’instrument, la nécessité qui crée le mobile. Tout ce que j’en veux dire, c’est que, probablement, elle sera pour beaucoup, le jour où elle se posera, une question de force. En attendant la guerre déclarée, si elle doit venir, nous