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Richaud, dont il ne sortait que pour de rares visites de courtoisie aux gouverneurs généraux et aux lieutenans-gouverneurs de Cochinchine ; on ne le voyait pas aux heures élégantes « faire le tour d’Inspection, » ni dans les fêtes officielles se donner en spectacle à la curiosité des Européens. Jamais il ne quitta sa retraite pour voyager dans nos possessions, malgré les invitations de ses amis qui redoutaient pour sa vigueur et son énergie les conséquences d’une farouche réclusion. Cette passivité apparente, cette résignation et cette réserve dont ils ne comprenaient pas la dignité lassèrent vite la sympathie et l’intérêt de nos compatriotes, et l’opinion commune fut que le prince était trop satisfait de sa situation présente pour l’échanger contre les risques et les fatigues d’une insurrection.

Et cependant, il ne s’était jamais senti si près du but. Depuis la campagne de 1893 qui nous donna la partie orientale du Laos, nous avions les Anglais comme voisins immédiats dans le bassin supérieur du Mékhong. Les incidens diplomatiques se multipliaient. M. Pavie, l’habile président français de la Commission mixte désignée pour la délimitation du Haut-Laos, proposait la création d’un Etat-tampon neutralisé, dont son ami Myngoon serait le chef héréditaire et qui s’étendrait entre les bassins du Fleuve Rouge et de la Sé Louen. Le délégué anglais n’accepta pas cette solution ; mais jusqu’à la signature de la Convention de Janvier 1896, le prince put croire que les deux gouvernemens se mettraient d’accord pour récompenser dignement sa réserve et sa soumission.

L’échec de ces négociations surexcita le dévouement des sobos chans qui préféraient leur vassalité nominale de jadis à la sujétion étroite dont les progrès de la domination anglaise les menaçaient. La campagne des Afridis, qui inspira pendant plusieurs mois de sérieuses craintes au gouvernement indien, augmentait en outre le zèle des partisans d’une restauration monarchique, encouragés par le retrait partiel des troupes anglaises que nécessitaient les événemens du Nord-Ouest. Dans l’hôtel de la rue Richaud, c’était un va-et-vient constant d’Asiatiques aux costumes bariolés. Les chefs de la colonie birmane de Paï Lin, au Siam, enrichie par l’exploitation des mines de rubis et de saphirs et qu’une Société anglaise tentait de spolier, renouvelant pour leur compte les propositions d’un agent allemand, invitaient le prétendant à venir par Chantaboun mal surveillé se