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mettre sous la protection d’une escorte nombreuse et bien armée qui le conduirait, à travers le Laos siamois, jusqu’au pays de Xieng-Tong. L’auteur de ces lignes se souvient d’avoir vu passer sur le Mékhong de nombreux émissaires de la Haute-Birmanie allant apporter au prince des subsides qui, pour la sécurité, la facilité du transport, consistaient en pierres précieuses enchâssées sous la peau : quelques incisions faisaient jaillir rubis, topazes et saphirs que Myngoon vendait aux chettys de Saigon. Les supérieurs d’importantes bonzeries eux-mêmes accouraient témoigner du loyalisme des peuples divers soumis aux anciens rois d’Ava, et sommaient le prince de renouveler les exploits de son aïeul Allomphra.

Parmi tous ces agens de révolte, si plusieurs apportaient des messages de réelle importance, quelques-uns étaient des espions au service du gouvernement indien ; d’autres étaient des pauvres gens qui ne pouvaient offrir que leur personne et qui faisaient un long voyage pour contempler avant de mourir « leur roi. » Tous étaient accueillis et recevaient une hospitalité sans limites ; à tous Myngoon donnait des audiences où revivait en partie l’antique cérémonial d’Ava. Ils repartaient ensuite : les émissaires avec des instructions, les espions avec de faux renseignemens, les autres avec des habits neufs et le viatique du retour. Le prince dépensait ainsi sans compter. Aux respectueuses observations du fidèle Sinassamy, son interprète et son intendant, lui démontrant parfois que les voyages et l’entretien d’une centaine de domestiques, courriers, courtisans étaient une lourde charge pour ses ressources, Myngoon répondait qu’en Birmanie, comme en Annam, « le roi est le père et la mère de son peuple, » et que Bouddha y pourvoirait.

Mais bientôt le ton des appels adressés par les sobos des Etats chans et les populations de l’irraouaddy se modifia. Les partisans de l’indépendance, les chefs des dacoïts, étonnés de l’inaction du prince, tout en s’affirmant aussi dévoués, cessèrent de lui envoyer des subsides pour l’obliger à quitter Saigon. Ils dénombraient leurs fusils, leurs munitions, leur guerriers ; ils rendaient compte des progrès militaires et moraux des Anglais dans le pays et terminaient invariablement leurs messages par cette formule : « Quand vous serez dans le royaume, tout sera votre propriété ; nous vous donnerons nos biens et nos vies, mais nous ne voulons plus vous aider à rester chez les Français. »