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possibilité de bien conserver cette vitesse pendant son trajet dans l’air. On ne put aboutir que par une transformation radicale de tous les élémens du système d’artillerie : la pièce, l’affût, le projectile, la poudre même qui n’avait jamais varié depuis son invention, furent complètement transformés. Le projectile, en particulier, devint le shrapnel : c’est un obus rempli de balles en plomb durci, conservant bien leur vitesse après l’éclatement, et une charge de poudre juste suffisante pour briser le corps d’obus qui n’est plus, pour ainsi dire, qu’une enveloppe. On arma le shrapnel d’une fusée dite à double effet, qui permet de le faire éclater, soit au point de chute (tir percutant), soit, après un réglage spécial, sur un point quelconque de sa trajectoire avec une grande précision. On réalisait ainsi l’artillerie à shrapnel fusant, car le tir percutant devenait exceptionnel. En éclatant en l’air, le shrapnel disperse ses balles en une gerbe meurtrière d’une largeur de 20 mètres, sur une profondeur de 100 à 150 mètres, profondeur moindre que celle de l’ancien tir à mitraille. Le shrapnel a donc aussi un effet en profondeur ; mais cet effet, au lieu d’être limité à quelques centaines de mètres en avant de la bouche à feu, se produit jusqu’aux plus grandes distances, aussi foudroyant que le tir à mitraille contre des troupes découvertes, immobiles ou en mouvement. Mais cette propriété nouvelle est achetée au prix d’une grande complication dans le mode d’emploi. A la difficulté du réglage en portée, s’ajoute celle du réglage de la fusée ; cette double opération est assez délicate pour ne plus pouvoir être confiée qu’aux officiers dont le rôle grandit ainsi considérablement. De plus, le shrapnel est loin de pouvoir remplir toutes les tâches qui incombent à l’artillerie sur le champ de bataille. Il est impuissant contre le personnel couvert par un abri, par exemple contre le fantassin masqué derrière son havresac ou simplement couché : en raison de la faible charge de poudre qu’il contient, il n’a plus de puissance incendiaire, et ses effets sont presque nuls contre les obstacles. Afin de remédier à ce dernier défaut, on a établi, dans toutes les artilleries, un obus chargé en explosif (mélinite en France) se tirant percutant. Mais son effet est très localisé : en éclatant à la rencontre du sol, il se brise en un nombre considérable d’éclats lancés à une vitesse colossale, mais fort petits, qui sont meurtriers dans une zone de quelques mètres seulement. L’obus explosif peut avoir d’excellens effets contre