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grand défilement est difficile et compliqué, ce qui rend son action incertaine, impossible parfois.

Enfin l’outil nouveau est d’un maniement extrêmement délicat. La batterie d’un capitaine virtuose aura facilement raison de plusieurs médiocrement commandées. L’importance du capitaine devient considérable, exagérée même.

En résumé, les caractères de l’artillerie nouvelle sont les suivans : rapidité foudroyante de ses effets sur une zone très profonde contre le personnel non abrité ; faible vulnérabilité dans le tir à découvert et dans le tir masqué ; invulnérabilité presque complète dans le tir à grand défilement, possibilité d’aveugler l’adversaire par la fumée ; mais, grande difficulté de commandement et impuissance contre les troupes couvertes par le moindre abri et contre les obstacles.


Dans les transformations qui ont conduit au canon à tir rapide, la pièce seule a profité des progrès récens : elle continue à tirer un shrapnel qui présente tous les défauts constatés plus haut. L’insuffisance de ce projectile est devenue plus dangereuse depuis que le bouclier rend l’artillerie ennemie invulnérable à ses balles. Allons-nous donc être réduits à laisser notre infanterie subir les coups de l’artillerie adverse sans lui venir en aide ? Nous ne le pouvons pas, il nous faut trouver un moyen de réduire au silence les canons de nos adversaires. En Allemagne, le tir courbe des obusiers et les obus explosifs tirés fusans ne paraissent pas avoir donné satisfaction ; du reste, en recourbant le bouclier, on protégerait les servans contre l’action verticale de ces engins.

L’idée qui vient naturellement à l’esprit, puisque le tir fusant est inefficace contre des pièces blindées, est d’employer le tir percutant de l’obus à mélinite, qui, en traversant le bouclier, éclate au milieu des servans et les met hors de combat.

Le procédé est bon contre une artillerie visible ; encore faudra-t-il un grand nombre de coups pour atteindre le but si petit qu’offre le bouclier. Mais si l’artillerie ennemie ne se décèle plus que par ses lueurs, l’indécision sur sa position devient considérable ; dès lors, les canonniers se trouveraient obligés, pour toucher ces boucliers invisibles, de couvrir systématiquement d’une masse énorme de projectiles toute la zone suspecte, dont la profondeur dépasserait peut-être 400 à 500 mètres. Les coffres se videraient promptement à ce jeu.