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de la levée des impôts ou de l’entretien des forteresses, quoique avec infiniment moins de sympathie ; c’était l’une des corvées de son métier de prince.

Il aimait à dire des impiétés, et la présence de ses enfans ne l’arrêtait point. « J’avoue, écrivait Madame en 1709 à Etienne Polier, son ancien précepteur, que les plaisanteries que j’avais ouï faire (à) mon père même, avaient fort ébranlé ma foi[1]. » Une autre lettre, à sa sœur Amélise, contient un passage encore plus significatif sur les irrévérences paternelles : « Feu notre papa s’est toujours gaussé de toutes les religions ; affaire de plaisanter, et uniquement pour se divertir[2]. »

Les efforts de quelques subalternes, — Etienne Polier, Mme de Harling, — pour empêcher leur élève de « se gausser » à son tour de « toutes les religions, » étaient voués d’avance à la stérilité. Personne n’avait d’influence sur Liselotte, si ce n’est son père et sa tante, deux voltairiens avant la lettre, et ce ne fut pas la comédie de sa conversion au catholicisme, réglée et mise en scène par Charles-Louis lors de son mariage, qui put lui enseigner à prendre les choses spirituelles au sérieux. Vainement le bonhomme Polier, de Paris où il était venu s’établir, reprit et redoubla ses pieuses exhortations. Madame lui protestait qu’elle craignait Dieu, bien que Dieu lui demeurât incompréhensible ; qu’elle espérait aller au Paradis, quoiqu’elle ne fût pas sûre qu’il existât ; et elle le suppliait de ne pas lui en demander plus, de peur de l’envoyer « aux Petites-Maisons, » car elle avait l’esprit « trop faible » pour les subtilités de la théologie.

En revanche, elle comprenait à merveille la politique religieuse de son père et de son oncle Ernest-Auguste, et elle l’approuvait sans réserve, précisément à cause du peu de part qu’y avait « le mistique. » C’était la politique du sens pratique ; la plupart des princes protestans de l’Allemagne d’alors n’en avaient point d’autre. Son objet était de faire rapporter des biens temporels aux subtilités théologiques qui cassaient la tête à Liselotte. Le pays était resté si las, si meurtri de ses longues querelles religieuses, que bien des gouvernans en arrivaient à regretter tout bas le tranquille giron de l’Eglise romaine et à

  1. Lettre du 25 décembre. Etienne Polier de Bottens, d’une famille originaire du Rouergue et transplantée à Lausanne, avait suivi Liselotte en France et s’était fixé à Paris, où il mourut dans un âge très avancé. Madame lui écrivait en français.
  2. Du 26 novembre 1705.