Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 48.djvu/77

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

envisager l’idée d’une réconciliation, mais ils exigeaient que Rome y mît le prix. Les moins croyans, ceux qui se guidaient par des vues purement humaines, étaient naturellement les plus disposés à se faire marchander, et c’est ainsi qu’on a la surprise de rencontrer Charles-Louis et son beau-frère de Hanovre parmi les parrains d’un projet de réunion des deux Eglises qui traîna longtemps dans les chancelleries allemandes, et devint l’occasion de la célèbre correspondance entre Bossuet et Leibniz. L’histoire de cette curieuse négociation est encore à faire ; on en sait assez, cependant, pour ne conserver aucune illusion sur les mobiles des deux princes qui nous intéressent.

Dans les premiers mois de 1677[1], un personnage qui voyageait incognito se présenta au château de Heidelberg, où il fut reçu par Charles-Louis. Il se fit reconnaître pour l’évêque de Tina[2], et se dit chargé par l’empereur Léopold de négocier en secret un rapprochement, sur le terrain dogmatique, entre les catholiques et les protestans. L’Electeur lui fit l’accueil le plus empressé, tout en se demandant pourquoi tant de mystère, et si la véritable mission de l’évêque ne serait pas de « diviser les protestans entre eux[3] ? » Dans l’incertitude, il se borna provisoirement à raisonner l’affaire en gros avec la duchesse Sophie. Le dogme, lui disait-il, tout le monde s’en moquait, catholiques aussi bien que protestans : « Comme, par exemple, de croire que Jésus-Christ soit réellement présent à la Sainte-Cène : qu’est-ce que ça fait ? » Mais de rendre à un prince étranger, tel qu’était le Pape, le droit d’exercer une autorité quelconque sur vos sujets, « c’était autre chose, » et Charles-Louis se promettait d’y regarder de très près. Au surplus, il ne pensait pas qu’il sortît rien de cette tentative. Il était convaincu que les pasteurs s’y opposeraient, non par des raisons de conscience, — c’était une idée qui ne lui venait même pas, — mais parce qu’ils n’accepteraient jamais de « se remettre de bon gré sous le fouet du pédagogue de Rome. » Cependant, si l’on parvenait à s’entendre sur « les biens d’Eglise, » peut-être arriverait-on à quelque résultat, car personne ne voudrait se battre « pour maintenir ou renverser la doctrine du purgatoire. »

  1. Ou à la fin de 1676.
  2. Tina ou Thina, en Croatie. L’évêque d’alors était Christophe Rojas, comte de Spinola. Il passa en 1686 au siège de Wiener-Neustadt.
  3. Lettre à la duchesse Sophie, du 3 mars 1677.