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Lorsque le comte Holnstein revint à Versailles avec la lettre du Roi que le régent Luittpold remit au roi de Prusse, Bismarck lui exprima son plus vif contentement. « Cette lettre, dit-il, constituait un facteur important pour le succès d’efforts pénibles et souvent incertains dans leurs résultats... Le comte Holnstein, en écartant les obstacles extérieurs de la question de l’Empire, a pris une part importante à l’achèvement de notre unité nationale[1]. »

Dans l’intervalle, le chancelier avait passé par bien des angoisses et des inquiétudes. Il était tellement écœuré des jalousies et des intrigues dont il était l’objet, qu’il se tenait dans un isolement farouche. « Je n’ai pas une âme humaine ici, gémissait-il, pour causer de l’avenir et du passé. » Ecoutez ces aveux extraordinaires, qui montrent quelle était la reconnaissance du Roi et des princes envers celui qui avait tant travaillé, tant peiné pour la formation de l’unité allemande. « Quand on est depuis trop longtemps ministre, écrit-il à sa femme, et que, comme tel, par la volonté de Dieu, on a eu des succès, alors on sent nettement combien le bourbier glacé de l’envie et de la haine monte lentement autour de vous, s’élève de plus en plus et finit par gagner le cœur. On ne se fait plus de nouveaux amis. Les vieux meurent ou se terrent dans leur modestie aigrie, et la froideur d’en haut augmente, ainsi que l’histoire naturelle des princes, même des meilleurs, le veut... Bref, j’ai froid intellectuellement, et il me tarde d’être auprès de toi et d’être avec toi, dans la solitude, à la campagne. Un cœur sain ne pourrait supporter à la longue cette vie de Cour... Les princes avec leurs airs affairés m’importunent. De même, mon très gracieux maître avec toutes ces petites difficultés qui, pour lui, à propos de la très simple question de l’Empire, se rattachent à des préjugés princiers et à des colifichets ! » Bismarck faisait ainsi allusion, entre autres minces détails, à la question du changement ou du maintien des uniformes pour les Etats du Sud. Et, quelques jours après, il écrivait encore : « Je vais assez bien par ce temps de pluie et de tempêtes, quoique exténué par le chagrin que me donnent les sujets que tu sais, tourmenté outre mesure par le travail que me causent les personnes et non les nécessités objectives, car sans cela je ne me plaindrais pas. » Tourmenté, exténué,

  1. Pensées et Souvenirs, t. II, p. 141, 142.