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mouvement que Thiers. Si, il a bien du mouvement ; enfin nous verrons. Le premier jour il m’avait séduite davantage, un peu : il paraissait si ardent ! Si je le tenais pieds et poings liés, je le mettrais à sa juste valeur : jusqu’alors ce sera difficile. Je ne le comprends pas. Il me dit en s’en allant : « Je vais dans un endroit bien triste : je perds mon père, il n’a pas plusieurs jours à vivre ! » Etait-ce de l’insensibilité ? Fauriel aurait étouffé avant de pouvoir parler ainsi Enfin, nous verrons. Je crains que le charmant Cousin n’ait de la ressemblance avec Thiers. Cependant, rien dans sa physionomie ne le rappelle. Thiers est plus naturel, Cousin fait presque l’effet maniéré, mais cela ne se peut pas, je ne veux pas le croire ; du reste, nous avons été près de nous disputer, car la sympathie, à l’entendre, est une chose toute nerveuse ; au reste, cela ne prouve rien, sinon que l’idée agite les nerfs, au lieu que lui croit ou dit que les nerfs seuls en sont ; je n’ai pas pensé à lui dire que les nerfs n’étaient là dedans que les instrumens. Il n’accorde pas que la sympathie est la morale : c’est le sentiment du devoir ; mais il est impossible de les distinguer. Au reste, je n’ai pas cela clair dans la tête, et Cousin n’est pas clair, c’est un de ses défauts. Au reste, nous ne savons pas encore la même langue : cela reviendra ; il vient avec nous ce soir chez Mme Belloc, du moins c’est convenu. Mme Chassériaux[1] m’a dit que Cousin avait parlé de moi à Thiers (comme il faut) ; mais elle est bonne personne et l’a dit peut-être pour me plaire. Thiers ne m’a pas dit comme cela. Il me semble que les manières de Cousin étaient moins adorantes pour moi que la première fois, mais je ne veux point me vexer, n’y pensons pars. J’ai vu Sémiramide hier au soir ; mes oreilles ont été ravies, enchantées, mais pas un instant touchée ; j’étais en extase, mais de plaisir, et c’est une tragédie. Peut-on démoraliser les oreilles à ce point ! Quelle différence avec Glück ! Mme Pasta a été charmante, mais excepté un air plein de frayeur, et un de passion contre son mari, il n’y avait rien pour elle. C’est un mauvais rôle, trop haut pour sa voix ; et puis, Rossini porte la vie trop légèrement pour elle. Elle m’a moins plu qu’il y a deux ans, c’est peut-être les ragots de Thiers ; jamais elle n’a une pose gauche ni même théâtrale, c’est toujours idéal et noble. Cette femme a l’instinct de tout ce que l’âme pourrait inspirer : je ne sais si

  1. Une amie de la famille Clarke. (Communication de M. de Mohl.)