Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 48.djvu/86

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dangereux ; ils peuvent causer des désordres dans la tête[1]. »

Fille et garçon la craignaient et l’aimaient. Ils la payaient en respect et en affection de l’indomptable énergie avec laquelle Madame les disputait aux favoris de Monsieur, acharnés à mettre la main sur les enfans de la maison. Pour sauver ces innocens de contacts pernicieux, pour tâcher d’en faire d’honnêtes gens, rien n’arrêta jamais leur mère, ni les menaces, ni les dangers. C’est le beau chapitre de la vie de Madame. Son fils était tout spécialement visé ; elle le défendit en lionne à qui l’on veut prendre ses petits. Il n’a pas tenu à Liselotte que le Régent eût d’autres mœurs, la Régence une autre réputation devant l’histoire.

L’assaut de 1689 fut le plus terrible. Le marquis de Sillery, gouverneur du Duc de Chartres, prenait sa retraite. Le chevalier de Lorraine saisit la balle au bond. Il entreprit de le remplacer par d’Effiat[2], et c’était chose faite sans Madame. Monsieur avait promis. Le Roi avait permis ; on le disait du moins, et Dangeau l’a cru[3]. Madame se mit en travers : « Je sais avec toute la France, disait-elle, que cet homme-là est un des drôles les plus abjects et les plus débauchés qu’il y ait au monde[4]. » Lui livrer son fils, c’était l’envoyer à sa perte. Elle déclara qu’elle ne donnerait jamais son consentement, et Monsieur eut beau faire et beau dire, beau tempêter et menacer, il n’était pas plus avancé au bout de six mois que le premier jour. Enfin Madame finit par où elle aurait dû commencer : « J’ai parlé au Roi. Sa Majesté m’a dit que ce sont de purs mensonges de dire qu’il veut avoir d’Effiat pour gouverneur de son neveu ; qu’il y a au contraire un an qu’il en détourne Monsieur[5]. » Il promit à sa belle-sœur de choisir lui-même « un honnête homme » pour son fils, et tint parole ; la place fut donnée au marquis d’Arcy. Les avis sont aujourd’hui partagés sur un autre choix pour lequel Madame, chose rare, se trouva d’accord avec d’Effiat et le chevalier de Lorraine. Le fameux abbé Dubois, alors très petit personnage, était sous-précepteur du Duc de Chartres. Il l’aidait

  1. Du 15 février 1710, à la raugrave Louise.
  2. Antoine Coiffier, marquis d’Effiat (1638-1719), premier écuyer de Monsieur.
  3. Voir son Journal, le 5 août et le 25 septembre 1689.
  4. Du 26 août 1689, à la duchesse Sophie. L’édition de Stuttgart a supprimé plusieurs pages de cette lettre.
  5. Du 21 septembre 16S9, à la duchesse Sophie.