Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 48.djvu/873

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la réunion de la Bosnie, de la Serbie et du Monténégro et la constitution d’un large groupe jougo-slave dont la Serbie serait le centre. L’élite de la population orthodoxe était d’intelligence avec l’étranger ; chrétiens et musulmans, séparés, naguère encore, par de vieilles haines sociales accrues par les divergences religieuses, s’étaient réconciliés dans une commune opposition contre le régime autrichien.

L’Autriche, dans ces conditions, ne pouvait pas différer davantage ; elle ne pouvait pas admettre qu’une propagande étrangère travaillât à lui aliéner l’esprit des populations qu’elle est chargée d’administrer. Le baron d’Æhrenthal s’est décidé à annexer la Bosnie quand il a compris qu’il s’agissait, non seulement de mettre le sceau de l’irrévocable à l’œuvre commencée à Reichstadt et à Berlin, mais encore de sauvegarder l’intégrité de l’Empire et d’arrêter le travail de dislocation que les Serbes entreprenaient à leur profit. Leurs « espérances, » qu’ils ne se consolent pas de voir ruinées, ne comportaient rien moins que la désagrégation de l’empire austro-hongrois ; ils y travaillaient de toute leur énergie ; ils rêvaient de faire de leur petit royaume, qui n’a pas 3 millions d’habitans, le noyau de coagulation autour duquel serait venu s’agglomérer tout le groupe des Slaves du Sud, pour former une masse compacte de 7 ou 8 millions d’hommes et constituer un grand Etat. Mais cette « plus grande Serbie » impliquait une « plus petite Autriche : » il était nécessaire et il était temps que le Cabinet de Vienne intervînt pour mettre fin à de pareilles intrigues.

L’Autriche ne méconnaît pas la situation désavantageuse que les traités ont faite au royaume de Serbie ; elle est disposée à lui faciliter, dans la mesure où elle le pourra, le moyen de vivre : encore faut-il que ce ne soit pas à ses propres dépens. Si la Serbie est pauvre et malheureuse, l’Autriche en est-elle donc responsable ? Si la Serbie avait appliqué toutes ses énergies, comme l’ont fait d’autres Etats balkaniques, à améliorer sa situation économique et à fortifier son armée, au lieu de déchirer ses entrailles dans d’atroces tragédies dynastiques ou dans de stériles luttes de partis, sa situation serait moins désespérée. En tout cas, elle n’a aucun droit, pas plus que le Monténégro, à élever une protestation contre l’annexion de la Bosnie-Herzégovine ; ce n’est pas vis-à-vis d’elle, mais de la Turquie, que l’Autriche s’était engagée à une occupation « provisoire, » et ce