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besoin d’affection de famille qui est un instinct qui m’a dévorée ? n’avais-je pas tout gouverné pour vous ? J’avais pris une petite fille pendant quelque temps pour tâcher de les assouvir, cela ne vous a-t-il rien révélé ? Et parce que ma fierté et ma délicatesse ont enchaîné ma langue, croyez-vous que ce silence n’ait point doublé mes souffrances ? J’aurais été trop heureuse de donner des leçons d’anglais toute la journée pour être sûre de passer le reste de mes heures avec vous, ma main dans la vôtre, sans ces cruelles séparations. Et parce que mon insupportable orgueil m’a fermé la bouche, croyez-vous que j’en aie moins souffert, et comprenez-vous à présent à quel excès je dois souffrir, à quel excès la tête doit être perdue, pour que je vous dise ce que tout cela ne pouvait m’arracher ? Et vous avez pu croire que tant d’amour pouvait être éteint par quelques mois de souffrances ? Je vous l’ai dit pour vous tromper, parce que j’ai cru que l’idée de me perdre réveillerait en vous quelques regrets, et que je leur devrais quelques doux momens ; et je ne m’étais pas trompée, car pendant une heure vous m’avez caressée comme autrefois. Vous avez cru que cela m’était indifférent, et je vous ai caché les transports que j’en éprouvais. Vous n’avez jamais compris que c’est toujours lorsque je vous aimais le plus que je me suis le plus enveloppée dans le silence de la cachotterie, parce que la passion intense qui m’a consumée ne pouvait trouver ni paroles ni signes, et qu’elle était pleine de honte.

Quand Cousin était auprès de moi, qu’il ne pouvait souffrir que je le quitte même pour aller chercher quelque chose qu’il me demandait, quand il m’exprimait tout ce que j’avais senti pour vous, eh bien ! je pensais à vous, je me disais : Ah ! s’il m’avait aimée comme cela ! Et je finis par être éblouie par ce qui me paraissait enfin de la passion. Je n’ai jamais cru que vous m’aimiez que deux ou trois fois dans ma vie, mais alors, quand j’en doutais, j’étais superbe et je me révoltais, et voilà la source de ce caractère. Mais c’est vrai, oui, j’ai un mauvais caractère, mais je n’en suis que plus à plaindre. Je vous jure que j’ai fait tout au monde pour le dompter, que je le fais chaque jour, mais je suis consumée de douleur, et après avoir combattu des heures et des jours et des nuits, je succombe. D’ailleurs, je ne suis pas une créature forte, et Dieu m’a trop demandé. Si je vous avais épousé, il y a huit ans, et si vous eussiez cessé de m’aimer comme il est probable, car c’est le temps qui a usé ce