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sentiment, j’aurais au moins le souvenir d’avoir été complètement heureuse pendant quelque temps. J’aurais peut-être une créature qui vous ressemblerait et que je pourrais tuer de caresses. C’est horrible à moi d’être vicieuse au point de regretter la dignité qui autrefois m’a fait tout taire ; mais rien n’est vicieux comme le désespoir, vous me l’avez dit. Que m’importe à présent votre estime ou la mienne, que m’importe toute chose d’ailleurs ! Je ne vaux pas grand’chose ; je suis irritable, violente, toujours mécontente ; je me révolte contre les décrets de Dieu, contre ce que j’ai mérité, car c’est pour me venger que je me suis jetée dans Cousin. Je suis vindicatrice comme Satan. Qu’importe, à présent, que je dise tout ? Qu’ai-je à perdre ? Ma vie est un supplice, et si j’avais quelque énergie, je m’en délivrerais. J’ai pensé mainte fois à aller attraper la peste en Egypte ou quelque part. Ma famille n’aura pas la douleur de croire que je me suis tuée. Grand Dieu, si j’avais eu le suprême bonheur d’avoir un enfant, qui eût votre figure, vos regards d’autrefois, qu’aurais-je pu demander ? Et la bonne Providence qui a donné cette ressource à mon malheureux sexe pour assouvir sans honte toutes les tendresses qui le consument, elle me l’a refusée ; ou moi-même je me la suis refusée.

Si j’avais tout dit, peut-être que, lorsque vous m’aimiez un peu, vous auriez consenti à m’épouser. Mais j’avais été adorée ; on m’avait parlé de mariage comme de la plus haute faveur que je pusse accorder, et vous jamais ne m’en avez ouvert la bouche que lorsque j’avais la bassesse d’en parler la première ; et chaque fois que cela m’est arrivé, mon cœur se soulevait, se tordait dans ma poitrine, de douleur et de honte, et jamais vous ne vous êtes mis à ma place. Vous vous êtes fait l’arbitre de ma destinée, vous vouliez que je me consume d’amour et que je n’aie pas une volonté, pas un mot. Vous vouliez m’épouser (peut-être), si et quand cela vous conviendrait. Je dis (peut-être) parce que Mme Arconati m’a donné des doutes là-dessus. Et si après que ma jeunesse serait passée vous trouviez que mon caractère ne vous convenait pas, vous vous félicitez de ne pas l’avoir fait. Vous m’avez surpris des caresses que je n’aurais pas dû donner, mais je les donnais sur la foi des traités, car quoique vous ne me disiez rien, je croyais que de les demander était une promesse de vous, et que vous aviez trop d’honneur pour ne pas les regarder comme des liens plus forts que les parchemins et