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vous, et puis-je encore être la moindre chose pour vous ? Oh ! cher ami, je sens maintenant combien je vous aime, car, ayant, dans l’état de folie et de souffrance où j’étais alors, renoncé à vous, à présent tout ce que vous êtes, tout ce que vous valez me revient, et je me résigne plutôt à n’être pas aimée de vous, pourvu que je vous revoie et vous sois au moins quelque chose. Votre silence me fait craindre que vous ne me répondiez pas ; mais si je pouvais avoir quelque signe pour savoir que vous me pardonnez, que ce que je vous dis ici ne vous est pas indifférent, je me résignerais à n’avoir rien autre chose. Envoyez-moi une feuille de papier blanc, je vous en prie, je saurai par là que vous aurez reçu cette lettre et que vous l’agréez. Si je ne la reçois pas, que puis-je penser ?


Mary.

Le 17 septembre 1832.


Claude Fauriel à Mary Clarke.


Paris, 25 septembre 1832.

Chère amie, je crois avoir reçu toutes les lettres que vous m’avez écrites ; et si je n’y ai pas répondu plus tôt, c’est un tort que je me suis donné, et que je vous prie de me pardonner. J’aurais cependant bien des choses à dire pour mon excuse ; mais c’est précisément pour avoir tant de choses à dire, que je n’ai rien dit, reculant toujours devant une lettre qui devait être un volume[1]. Aujourd’hui, je prends un parti plus simple : je finis par où j’aurais dû commencer ; et à compte de tant de choses que je ne puis écrire, je vous écris du moins quelques mots qui seront plus manifestes sur le papier que dans ma pensée. Je ne reviendrai pas sur l’horrible inquiétude que m’a donnée votre maladie : Mohl a pu vous en dire quelque chose ; mais il n’a pu

  1. C’est là l’excuse que Fauriel invoque le plus souvent pour se faire pardonner ses longs silences. À peine si les termes varient. Il est piquant de le voir se répéter de la sorte. Le 17 septembre 1830, il écrira encore :
    « Chère amie, voilà plus de trois longues semaines que j’espère et cherche le temps de vous écrire une immense lettre ; mais au lieu de venir, ce temps à l’air de m’échapper toujours plus vite, toujours plus perfidement, et de rendre de jour en jour plus lourd pour moi le joug de mes occupations. Je vois à la fin que si je voulais attendre le moment de vous écrire la moitié seulement de ce que j’aurais à vous dire, je ne vous écrirais pas du tout ; et je trouve cependant qu’il est moins triste de ne dire que peu de chose au lieu de beaucoup que de ne rien dire du tout.