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vous en dire que la moindre partie. Plus près de vous, j’aurais certainement été moins troublé, uniquement préoccupé, comme je l’aurais été, de faire quelque chose pour vous soulager. Je ne vous dirai rien non plus de la manière dont j’ai, et dont nous avons tous passé cet horrible été ; c’est assez du souvenir de cet état d’angoisse perpétuelle, pour renouveler mes serremens de cœur, et mes découragemens. Chezy[1] et Salfi[2] sont les deux derniers que j’ai eu à regretter, et ceux que j’ai regrettés le plus, ayant avec chacun d’eux des sympathies diverses, mais presque également chères. C’était à l’enterrement de Thurot[3] que j’avais vu Chezy pour la dernière fois : il avait été fort tendre pour moi ; et à travers toute la mélancolie du moment, il m’avait parlé avec vivacité de ses études et de ses projets. Trois semaines après, il n’était plus. Je ne puis oublier le zèle et le plaisir avec lesquels il me donna les premières leçons de sanscrit : c’est une parenté qui a ses devoirs et son intimité tout comme une autre ; je la respecterai toute ma vie.

Vous pensez bien qu’au milieu de si tristes impressions, je n’ai pas travaillé comme je me l’étais promis, et comme je l’aurais fait dans toute autre circonstance ; et c’est moins encore d’avoir peu fait que d’avoir mal fait que je me trouve à plaindre. En repensant beaucoup à mon grand travail, il m’est venu l’idée d’en modifier en quelque chose la publication, et d’en donner la fin à part de tout le reste ; c’est sans doute ce dont Mohl vous a parlé : il approuve le projet ; et je crois que j’y tiendrai. Tout cela n’est pas de grande importance : nous verrons. Vous êtes bien patiente de me traduire ; mais puisque vous avez cette patience, j’en suis tout lier : il me semble que vous devez me comprendre mieux qu’un autre, et que vous me feriez mieux comprendre. Je suis encore à Passy ; et j’y suis jusqu’au commencement de novembre. J’y travaille un peu plus qu’ici, sans y travailler beaucoup ; car je n’ai point encore la tête bien remise de cet été. Je viens souvent à Paris : cela me fait perdre quelques quarts d’heure : mais c’est pour moi la manière la plus agréable et la plus commode de faire un peu d’exercice. Je trouve Mohl au bout de

  1. A.-L. de Chézy (1773-1832), professeur de sanscrit au Collège de France.
  2. F. Salfi (1759-1832), auteur de divers ouvrages en italien (sa langue maternelle) et en français.
  3. J.-F. Thurot (1768-1832), professeur de grec au Collège de France. — Il y avait à ce moment-là une épidémie de choléra.