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jeune de ses frères un sentiment fort tendre. Quelques témoignages de vive affection suffisent-ils pour faire prononcer le gros mot d’inceste ? On sent un peu trop chez l’écrivain le désir de trouver Léonore coupable. Cette série d’accusations prépare du reste le rôle qu’on veut lui faire jouer, celui d’une femme accommodante chez laquelle le Tasse aurait trouvé, lui aussi, bon accueil.

Nous avons sous les yeux une pièce du procès dont l’authenticité ne peut guère être contestée. C’est un sonnet du Tasse, composé peut-être pour une autre Léonore, pour la comtesse de Scandiano, fort en vue à la cour de Ferrare, mais adressé en réalité à la sœur du duc. Au milieu des Léonores et des Lucrèces qui l’entouraient, le poète, voulant dissimuler par discrétion l’objet de ses amours, mêle les noms et les traits de façon à donner le change au public, comme on le fait souvent alors. Dans ces cours galantes et poétiques d’Italie, on prend volontiers un masque pour échapper à la curiosité et à la malignité du monde. Les femmes de chambre elles-mêmes bénéficient de cette situation. On leur adresse en apparence des hommages qui doivent remonter jusqu’à leurs maîtresses. Le sonnet en question exprime la tristesse d’un amant autrefois favorisé, maintenant tenu à l’écart et traité avec dédain. Sous le coup de cette douleur, le poète compare les joies dangereuses de l’amour aux séductions d’une mer calme et riante, qui invite à la navigation pour surprendre tout à coup le voyageur par un souffle de tempête. Lui aussi, il a eu confiance, il a cru à la sincérité du sentiment qu’il inspirait, et maintenant il est puni de sa crédulité par le mépris cruel qu’on lui témoigne.

L’œuvre en elle-même, d’une poésie facile, mais sans beaucoup d’originalité, ne mériterait pas une mention particulière, si elle n’avait pas été annotée par la princesse. Le commentaire dont Léonore la fait suivre, jette un jour sur ce qu’ont pu être à l’origine les relations de l’homme et de la femme, sur ce qu’elles sont devenues avec le temps.

La princesse ne conteste pas qu’elle a aimé, mais alors celui qu’elle aimait le méritait. Peut-il s’étonner qu’ayant changé lui-même, on ait changé à son égard ? Il parle de sa flamme. Oui, il s’est enflammé, mais comme la paille qui s’allume violemment pour s’éteindre aussitôt. Il parle de l’affection qu’il croyait inspirer, des bontés qu’on a eues pour lui. Sans doute. Mais