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terre, la sagesse avec laquelle elle avait gouverné le duché pendant une absence de son frère, rien ne peut désarmer le terrible critique. Comme il croit fermement qu’elle a été l’amie du poète, il ne lui pardonne pas de s’être fait aimer de lui pour l’abandonner ensuite. Ses représailles sont implacables. Il commence par lui enlever l’auréole de chasteté volontaire dont l’enveloppent les biographes. Si elle ne s’est pas mariée, ce n’est pas qu’elle ne l’ait pas voulu pour rester vierge. Elle a au contraire ardemment désiré sortir d’un célibat qui lui pesait. Mais ses deux frères et plus particulièrement le duc Alphonse, dans la peur d’être obligés de lui verser la dot à laquelle elle avait droit, ont invoqué le mauvais état de sa santé pour la condamnera rester fille. Sa maladie elle-même ne trouve pas grâce devant M. Angelo de Gubernatis. Il ne la croit pas sincère, il n’y voit qu’un prétexte pour échapper à la vie de représentation qui la fatigue et se renfermer dans un petit cercle d’amis.

Au premier rang de ces amis se place le Tasse. Malgré toutes les objections que Solerti élève contre la légende, M. Angelo de Gubernatis la maintient avec la ferveur d’un croyant, sans en administrer, il faut bien le dire, aucune preuve décisive ; Pour établir que le Tasse a réellement obtenu les faveurs d’Eléonore d’Este, comme il en est fermement convaincu, il faut contredire un certain nombre de témoignages contemporains et la présenter tout au moins comme une personne d’accès facile. M. Angelo de Gubernatis s’y ingénie fort habilement. Il fait d’abord observer que les deux sœurs du duc Alphonse et du cardinal, Lucrèce l’aînée, qui épousa le duc d’Urbin et Léonore, la plus jeune, étaient des personnes déjà mûres lorsque le poète eut accès à la Cour, elles avaient quelques années de plus que lui. Traitées en vieilles filles qui n’ont plus guère besoin de surveillance, elles vivaient au palais avec une liberté relative, ayant leurs appartement privés, recevant chez elles qui elles voulaient à toutes les heures du jour. Leur seule défense devait être leur vertu personnelle. Quelle était la qualité de cette vertu ? M. Angelo de Gubernatis ne la croit pas très solide, il accuse Léonore d’avoir favorisé les amours de son frère le cardinal et de sa dame d’honneur. Est-il bien sûr que, pour s’entendre, l’un et l’autre aient eu besoin d’un intermédiaire ? Chose plus grave et qui en tout cas contredit l’accusation précédente, Léonore, d’après sa correspondance, est formellement accusée d’avoir éprouvé pour le plus