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accueillante et de bonté délicate ? C’est encore une erreur de notre temps de croire qu’un écrivain, parce qu’il s’appuie sur des principes dont il ne doute pas, doive être d’intelligence étroite, d’esprit hautain, de cœur sans pitié. La sensiblerie qui nous inonde nous a fait perdre jusqu’à la notion de la sensibilité. Nous ne savons plus goûter que les pleurnicheries et les grimaces, tant nos âmes sont amollies et nos tempéramens énervés ! Rappelons-le donc. La bonté ne mérite son nom qu’à condition d’être intelligente et bien portante. La tolérance n’a de prix que si elle est à base de foi. Et de ceux-là seuls la pitié est précieuse qui en ont moins besoin pour eux-mêmes. Mme Arvède Barine n’appréciait ni les doctrinaires intransigeans, ni les moralistes chagrins. L’unique reproche qu’elle adresse à George Eliot, protestante et libre penseuse comme elle, c’est un excès de sévérité. Elle réclame pour l’humaine faiblesse : elle veut garder la porte ouverte au repentir, au pardon, à l’espérance. « A mon avis, ce réseau à la fois flexible et serré de causes et d’effets, cette espèce de filet d’actions premières et de conséquences forcées dans lequel elle enferme l’homme, ressemble un peu trop à la fatalité antique. Si aucun regret, aucun remords, aucun effort ne peuvent jamais « étrangler une de nos actions, » il n’y a plus qu’à se croiser les bras après la faute commise. Il arrive à tant d’entre nous de faire le mal que nous ne voudrions pas !... Je voudrais aussi à ses héroïnes des cœurs plus faibles, une justice moins exacte envers ceux qu’elles aiment. On ne mesurera jamais le bien que la femme a fait en sachant pardonner. » Combien d’écrivains a-t-elle rencontrés sur son chemin dont l’immoralité devait chagriner sa droiture et sa noblesse d’âme ! Elle s’est penchée sur leur misère ; elle leur a cherché toute sorte de circonstances atténuantes. Elle plaignait la créature d’être si fragile et ne se hâtait pas de la maudire. Tout accepter, à la manière d’aujourd’hui, n’était aucunement son fait ; mais elle savait tout comprendre. Elle n’a jamais fait de concessions ; mais elle a beaucoup excusé. C’est la fermeté de ses convictions qui lui a permis d’avoir l’intelligence si large. Et c’est la tendresse d’une âme vraiment aimante, qui a gardé de toute raideur l’autorité de sa direction morale.

En devenant écrivain, Mme Arvède Barine était restée très femme ; encore tâcha-t-elle d’être, aussi peu que possible, femme de lettres. Nous autres professionnels, nous avons peine à nous dégager des discussions d’école et des questions de métier. Nous avons fait dès le collège l’apprentissage de la dissertation. Nous cherchons dans les livres l’évolution des idées ou l’application des esthétiques. Ce