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d’origine. Très attirée par la pensée étrangère, elle se donna constamment pour mission de nous initier au mouvement des littératures anglaise, allemande ou scandinave. Non moins curieuse des âges disparus, elle goûtait un plaisir intense à en ressusciter en elle les états d’âme les plus différens. Une époque pourtant la sollicitait entre toutes : le XVIIe siècle, dont elle s’était faite en quelque sorte la contemporaine. Et ce qu’elle en appréciait surtout, c’était la diversité des humeurs, le relief des figures, l’originalité des caractères. De quelque temps qu’ils fussent, les irréguliers et les indisciplinés l’intéressaient, l’amusaient, réjouissaient en elle une certaine sympathie qu’elle avait pour tout ce qui sortait du banal et de l’ordinaire. — Entendez-vous enfin par l’imagination cet essor qui nous emporte loin du réel ? Mme Arvède Barine, qui se souvenait d’avoir beaucoup rêvé naguère, défendait avec une sorte de ferveur les droits du rêve et de la fantaisie. Elle ne voulait pas qu’on bannît de l’éducation le merveilleux, et qu’en refusant à l’esprit enfantin cet élément de surnaturel, on risquât de le dessécher à jamais. Elle a écrit ici même un article exquis dirigé contre ceux qui veulent aux Contes de Perrault substituer, comme lecture enfantine, des romans d’ingénieurs. Elle croyait à l’efficacité des contes de fée, n’admettant pas qu’on doive jamais restreindre l’horizon de l’esprit humain et lui interdire ni les excursions à côté, ni les envolées vers l’au-delà.

Le bon sens aimable était chez elle la marque de la bourgeoise d’ancienne France. D’autres traits lui sont venus de son protestantisme. Il en faut tenir d’autant plus de compte qu’elle le cultivait en elle soigneusement. C’était pour elle un synonyme d’indépendance de l’esprit. Nullement individualiste dans sa conception de la société, elle voulait dans ses jugemens ne dépendre que d’elle-même. Elle se défendait aussi bien d’adopter les opinions toutes faites et d’en prendre le contre-pied, ce qui est encore une manière d’être influencé par elles. Nul ne fut moins un écho et un reflet. De là encore sa constante préoccupation du point de vue moral. Elle ne prêche ni ne disserte ; mais alors même qu’elle s’abstient de moraliser, on sent que l’idée morale est toute proche. Elle ne songe pas à l’écarter comme importune. Bien au contraire. Elle est d’avis que rien n’est indifférent à la règle des mœurs et que la conduite de la vie est, quoi qu’on puisse dire, la seule affaire importante, celle à laquelle il faut toujours en revenir. Là même est l’essence de sa pensée, l’âme de son âme.

À cette gravité morale combien ne joignait-elle pas de sympathie