Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 49.djvu/216

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

si longs, si sauvages, lui laissèrent-ils la tête si claire qu’elle passa toujours, sans aucun effort, d’un ravissement à son plumeau, d’un miracle à une lettre d’affaires ? Tel est, cette fois encore, le « problème » que posait à son esprit cette vie extraordinaire. On sait l’art avec lequel elle sut débrouiller une psychologie si complexe. Son portrait de sainte Thérèse est un morceau achevé. Pour ma part, je n’en ai jamais relu sans émotion l’admirable conclusion. « Tous les soirs, de dix heures à onze heures, dans l’étendue immense du monde chrétien, la carmélite prie. Sa prière n’est pas pour elle... On lui a dit que c’était l’heure où le mal se prépare dans le monde, et, comme elle est entrée dans le cloître jeune et ignorante, ces mots la font rêver de mystères inconnus et redoutables. Elle prie et il lui semble voir la grande armée du mal envahir silencieusement la terre obscure. La foule grandit, elle va couvrir le monde, mais en travers de sa route un groupe est prosterné. Ce sont de pauvres filles vêtues de bure. Devant elles la sombre armée recule et quelques-uns sont sauvés qui auraient été perdus. La carmélite emporte dans sa cellule la vision de sa victoire et s’endort heureuse. » Il y a dans la littérature contemporaine peu de pages aussi belles que celle-là, par le sentiment qui l’imprègne et par la poésie dont elle est tout enveloppée. Et cette méditation d’un accent si simple et si profond émane de qui ? d’une huguenote. Et cette même huguenote n’a pas résisté au plaisir d’évoquer la piété gracieuse et tendre du saint d’Assise !... En vérité, le spectacle des Fête-Dieu d’antan avait, une fois pour toutes, parfumé et fleuri son imagination.

Cependant, à mesure du progrès de son talent, l’écrivain s’enhardissait. Ayant commencé par des « essais, » elle élargit peu à peu sa manière jusqu’à la grande biographie. On lui doit deux des meilleurs volumes de la « Collection des grands écrivains français » publiée par la librairie Hachette. Son portrait de Bernardin de Saint-Pierre, à l’époque où il parut, était très original. Elle y substituait, à la silhouette paterne et légèrement ridicule du Bernardin légendaire, la figure vraie, vivante et énergique. De même, elle réformait l’opinion qui tient Paul et Virginie pour une pastorale innocente et fade ; elle rendait à l’idylle fameuse ses vraies couleurs : c’est une histoire d’amour, l’une des plus enflammées qui aient été écrites en aucune langue. Et quelle occasion elle trouvait d’exercer ici sa fine ironie ! C’est Bernardin qui, dans les Etudes de la nature, a poussé jusqu’aux extrêmes de l’absurdité la théorie des causes finales : la matière est riche à s’égayer. Rien ne vaut pourtant l’histoire des deux mariages