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de l’illustre vieillard. Il avait cinquante-quatre ans quand il consentit à épouser Félicité Didot qui en avait vingt. Pauvre Félicité obligée de geler dans son île, à Essonnes, où elle était la première servante de son mari ! Elle aussi, elle éprouva ce qu’il en coûte d’être la femme d’un grand homme et, pis encore, d’un homme à grands sentimens. Elle mourut, laissant le soin de sa vengeance à la jeune Désirée de Pelleporc qu’épousa Bernardin, comme il entrait dans son soixante-quatrième printemps. Ce fut alors l’histoire comique du barbon amoureux, empressé de plaire à une jeunesse et se pliant à ses quatre volontés... Dans le bonhomme Bernardin son biographe nous a fait entrevoir le faux bonhomme ; mais elle l’a fait avec tact et mesure, se gardant bien de cette insistance fâcheuse où d’autres se sont complu, au risque de fausser une idée juste.

Quant à la biographie d’Alfred de Musset, Mme Arvède Barine ne se fit pas beaucoup prier pour l’écrire. Elle aimait entre tous le poète alors dédaigné. Elle aurait pu mettre en tête du livre qu’elle lui consacrait cette épigraphe qui est d’elle : « A l’admiration inspirée par son génie s’ajoutait la tendresse reconnaissante que nous gardons aux œuvres où survit l’idéal de notre jeunesse. C’est nous que nous aimons en elles, ce sont nos beaux rêves d’autrefois. » Elle parla du cher poète avec complaisance. Elle lui sut gré de sa sincérité ; elle l’admira pour avoir été, plus qu’aucun autre, jusqu’au fond de la douleur. Rencontrant sur son chemin l’épisode des « Amans de Venise, » c’est elle qui nous l’a conté la première, et d’une façon dont on peut dire que les nouveaux documens produits par la suite, non plus que le luxe et la surcharge des commentaires, n’y ont rien ajouté. C’est elle qui la première a produit sur la scène cet imbécile de Pagello avec cette fatuité de bellâtre et cette inconscience du ridicule qui l’achève de peindre. Elle a dénoncé la folle gageure d’êtres occupés à faire passer dans la réalité les inventions de la littérature la plus ennemie qui fut jamais du réel. Elle a suivi les phases de cet accès aigu de romantisme, comme on suit l’évolution d’une maladie. Elle a diagnostiqué les causes du mal : ils étaient tous dans le faux, travaillant à se tromper eux-mêmes et à transfigurer une aventure banale ! Elle nous a fait toucher du doigt le châtiment. Et après avoir, avec une sûre clairvoyance, démêlé le cas de ces insensés, elle conclut sans colère : Paix et pardon ! Cette analyse si délicate et si juste d’états d’âme si complexes et si troubles, suffirait à placer son auteur parmi les moralistes les plus pénétrans. — Depuis lors, c’est toute une « littérature » qu’on nous a donnée sur le même épisode. Cette fois