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le mouvement des idées ; elle assistait, non sans effroi, à la marée montante des paradoxes où risque de sombrer l’avenir de la femme. Elle ne ménageait pas les conseils à celles qu’elle voyait faire si étourdiment fausse route. A la turlutaine d’émancipation dont sont travaillées nos « féministes » elle opposait ce portrait des femmes d’autrefois, qui « subordonnaient leurs goûts à leurs devoirs et ne se croyaient pas à plaindre pour cela. » Elle n’était pas du tout persuadée que la femme eût aucun profit à attendre de la révolution qu’appelle son imprudence. Elle ne voyait pas venir l’ère de l’indépendance féminine ; mais elle voyait s’en aller le respect de la femme. « Tenez, c’est là mon grand grief contre les mœurs nouvelles, plus encore que de n’être pas secourables aux femmes, plus que d’habituer les hommes à nous rudoyer parce que nous devenons leurs concurrentes sur la scène du monde. Le respect de la femme s’en va. On dit tout devant elle. Elle y pousse, elle y provoque ; c’est à ses yeux le signe de son émancipation, c’est son grand privilège de « femme nouvelle. » Je n’ai pas besoin de faire remarquer que l’habitude de manquer de respect aux femmes dans les petites choses a ses conséquences dans les grandes... » C’est ainsi qu’elle disait son mot, avec cette raison enjouée, sur toutes les questions qui intéressent la destinée de la femme : instruction, travail, mariage, égalité des sexes. De toute évidence, l’opinion d’une femme de si libre esprit, de pensée si indépendante, si exempte de préjugés et d’une si belle bravoure intellectuelle, est ici d’un prix considérable. Il faudra qu’on réunisse quelques-uns de ces articles consacrés aux questions actuelles. On en composera facilement un recueil qui s’intitulerait si bien, suivant la mode ancienne : l’Esprit d’Arvède Barine ! Ce sera un livre exquis où toutes les femmes auront profité qui sauront s’y plaire. Il leur enseignera, sans pédantisme et sans défaillance, l’art de vivre. Ainsi complétée, l’œuvre de cette femme éminente, qui fut l’un des premiers écrivains de son temps, reflétera dans l’image la plus ressemblante qui soit, l’esprit de la femme française, — tel qu’il a été longtemps et tel qu’il survivra, nous l’espérons fermement, à de folles tentatives, — avec son incomparable mélange de sérieux et de brillant, de gravité et de malice, de saine vigueur et de grâce séduisante.


RENE DOUMIC.