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caractère dominant, le fond et l’essence même du génie wagnérien.

Quoi qu’il en soit, la plus dramatique des œuvres de Wagner est loin d’en être, musicalement, la plus belle. Il lui manque, avec la constante et poignante humanité, l’unité prodigieuse d’un Tristan. Vous n’y trouveriez pas davantage, — le troisième acte réservé, — de ces grandes coulées sonores, de ces courans irrésistibles que sont, par exemple, le premier acte de Siegfried, le premier et le troisième acte de la Walkyrie. Rien non plus, malgré la beauté de tableaux symphoniques tels que les voyages de Siegfried, ne saurait supporter la comparaison avec des épisodes comme le prélude du Rheingold, ou la Chevauchée des Walkyries, ou l’Incantation du feu. Et puis, et surtout le principe ou le système de la Götterdämmerung consiste dans le rapprochement, dans l’agrégation des détails plutôt que dans la généralisation et le large parti pris. La musique ici donne, avec une persistance qui fatigue à la longue, l’impression d’une mosaïque et d’une combinaison perpétuelle, de rapports innombrables, établis, soutenus par une maîtrise étonnante, mais d’où l’arbitraire et l’artifice ne semblent pas toujours exclus. Le jeu des leitmotive y apparaît par momens comme un jeu de hasard autant que d’adresse.

Enfin, — nous l’avons observé naguère, — la musique du Crépuscule des Dieux offre ce caractère particulier, que les plus belles choses n’y sont pas nouvelles, et que les choses nouvelles n’y ont pas le plus de beauté. Les personnages de Gutrune, de Gunther, et de Hagen lui-même, figurent parmi les moins intéressans de la Tétralogie. Il faut avouer, et les choses d’ailleurs ne pouvaient autrement finir, que cette dernière soirée est presque entièrement rétrospective. Elle l’est, pendant les deux premiers actes, avec une longueur, une lourdeur souvent pénible. Elle l’est, au dernier acte, avec une incomparable splendeur. Je ne connais pas, dans l’ordre entier de la musique de théâtre, voire de la musique pure, une conclusion aussi grandiose et qui satisfasse avec cette plénitude à la fois l’intelligence et le cœur. Logique et pathétique également, c’est l’index colossal ou le bilan gigantesque de tout un monde poétique et sonore, la revue finale de formes et de forces qui ne parurent jamais plus belles et plus variées, plus vivantes et plus fécondes, qu’au moment de s’effacer et de s’anéantir. Par trois fois (récit de Siegfried, marche funèbre, déploration finale de Brunnhilde) l’ouvrier, près d’achever son œuvre, en reprend toute la matière et tout l’esprit. Et de ces trois repiises, chacune manifeste encore un surcroît de puissance, un renouvellement