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domine dans la Walkyrie et règne en maître absolu dans Siegfried, il y a ordinairement, dans la Götterdämmerung, plusieurs personnes sur la scène, prenant toutes part à la situation. Par momens, Wagner tire même des situations les plus grands effets dramatiques. La première rencontre de Brunnhilde et de Siegfried, qui, par l’effet du philtre, a oublié jusqu’au nom de Brunnhilde ; l’instant où la Walkyrie aperçoit au doigt de Siegfried l’anneau qu’il lui a arraché après avoir pris la forme de Gunther ; Brunnhilde, Hagen et Gunther se liguant pour perdre Siegfried, toutes ces scènes sont très dramatiques et très émouvantes. Et je ne parle même pas du dernier acte, qui, du commencement à la fin, nous touche et nous émeut. »

Tout cela est vrai. Mais quelque chose encore, — par une rencontre, ou plutôt par une contradiction singulière, — n’est pas d’une vérité moindre : c’est que les passages en question, proprement dramatiques, sont de ceux où faiblit, — si même elle ne s’y dérobe, — l’inspiration du musicien. Des deux duos entre Brunnhilde et Siegfried, ni le duo des adieux, ni celui du revoir trompeur et de l’affreux quiproquo, n’est comparable au duo final de Siegfried. Le second surtout m’a toujours paru fort au-dessous d’une « situation » dont la musique est loin d’égaler la violence et l’horreur. La scène de la « confrontation, » entre Siegfried inconscient, impassible, et Brunnhilde éperdue, n’est pas non plus celle qu’on pouvait attendre. Il y manque le mouvement, le jet continu et la vie. Elle languit, traîne et s’interrompt. Des vides et des trous, à chaque instant, s’y creusent. Aussi bien le second acte de la Götterdämmerung est, dans l’ensemble, fastidieux. Et, chose curieuse encore, l’ennui qu’il nous cause a des raisons assez différentes de celles qui produisent généralement l’ennui wagnérien. Wagner ici ne procède pas de lui-même ; il y pèche par d’autres défauts, ou par d’autres excès, que les siens. Il y tombe (scène avec chœurs de Hagen et de ses compagnons) dans un style bruyant et lourd ; sinon tout à fait dans l’italianisme vulgaire, dans un genre au moins qui s’en rapproche et dont le « dramaturge lyrique » devait justement se flatter d’avoir achevé la ruine. Cela montre seulement, une fois encore, l’éternelle piperie des mots. « Dramaturge lyrique » est peut-être, moins qu’on ne l’a cru, le vrai nom de Wagner. Gardons seulement l’épithète. Lyrique, le maître de Bayreuth l’a été sans doute, constamment, et jusqu’au sublime. Épique, il le fut aussi : la Tétralogie, entre toutes ses œuvres, le prouve. Mais l’homme de théâtre proprement dit n’égale pas le poète, et plutôt que dans le drame, il faudrait chercher dans l’épopée et dans le lyrisme le