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sais quoi de religieux, de chrétien peut-être, est le chef-d’œuvre beethovenien. Dans celui de Wagner, au contraire, quel faste et quel tumulte, quels éclats au dehors, quel déchaînement et quelles convulsions ! Mais, dans l’un et dans l’autre, quelles détentes et quelles relâches ! Après quels paroxysmes, quelles l’émissions, parfois plus touchantes encore ! « Loin de nous les héros sans humanité ! » s’écrie Bossuet. Comme le maître du verbe, les maîtres des sons ont écarté de leur héros toute inhumaine rigueur. Je doute si j’admire davantage la marche funèbre de Siegfried pour ses violences ou pour ses faiblesses, pour tant de traits sublimes ou tant de détails familiers. C’est une élégie aussi que cette épopée, et les cris ou les clameurs n’y étouffent pas les soupirs. Entre deux périodes à grand fracas voici que revient, — et de si loin ! — le thème qui jadis accompagna Sieglinde furtive et présentant une eau pure aux lèvres de Siegmund. Elle coule, elle perle goutte à goutte, la triste et douce cantilène. Libation de vie autrefois, elle l’est maintenant de mort. Elle évoque tout un passé de gloire et de misère et nous croyons, en l’écoutant, voir Siegmund, le père de Siegfried, et Sieglinde, sa mère, se pencher et pleurer le destin de leur race sur le front pâle de leur enfant.

Ce n’est pas seulement d’une race, c’est d’un monde, que le vocero suprême de Brunnhilde annonce et couronne la ruine. De toutes les femmes qui depuis des siècles sont mortes en musique, aucune assurément n’a fait une pareille mort, après un testament pareil. Dans l’expression de ses dernières volontés on peut dire que Brunnhilde n’a rien oublié, ni personne. Il n’est pas jusqu’à son cheval, auquel la divine écuyère ne laisse un magnifique souvenir. Parmi ses sœurs wagnériennes elles-mêmes, nulle ne finit d’une fin aussi grandiose et de plus aussi complexe. La silencieuse, l’humble Elisabeth consomme dans le secret de son âme la rédemption de l’âme pour laquelle elle donne sa vie. L’ardente Iseult s’absorbe et semble se dissoudre dans l’infini de son unique amour. Mais Brunnhilde se débat et se partage. Mille souvenirs, mille soucis l’assiègent et, comme plus d’une destinée a dépendu de sa fortune, son trépas entraîne, humaine ou divine, plus d’une mort. Cela fait des adieux de cette femme un conflit, ou plutôt une série de conflits, de réactions et de contre-coups, une tumultueuse et prodigieuse mêlée. Tout y est, une dernière fois, repris et rassemblé. La création wagnérienne y reparaîtront entière au moment de s’abîmer et dépérir. Enfin, pour employer le style des parallèles anciens, si la conclusion de Tristan,