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ce cadre merveilleux dont la sérénité a l’air de narguer les folies humaines. Le jeune Torquato considère le monde sous un tout autre aspect.

Il choisit un moment dramatique de l’histoire, le siècle où, dans un élan d’enthousiasme religieux, la chrétienté tout entière s’arme pour reconquérir sur l’Islam le tombeau du Christ et la ville de Jérusalem. Lui dont le père est allé combattre les Sarrasins à l’unis, dont la sœur a failli être enlevée à Sorrente par les pirates barbaresques, il partage du fond du cœur les sentimens qu’expriment ses héros. Ces héros eux-mêmes lui inspirent l’admiration que mérite l’entreprise à laquelle ils consacrent leurs forces. Qu’ils lui viennent des vieilles légendes, de l’histoire embellie des Croisades ou que son imagination les crée de toutes pièces, il les décore des vertus chevaleresques dont le culte est gravé dans son âme depuis sa première jeunesse. Ce sont des chrétiens, mais ce sont aussi des paladins qui observent dans leurs combats toutes les lois de la chevalerie. Ils n’attaqueront pas leurs ennemis en traîtres, ils ne les accableront pas non plus lorsqu’ils les auront vaincus, ils leur témoigneront noblement une généreuse pitié.

Sous cette plume enchanteresse, les musulmans eux-mêmes se transforment. Cette fleur de courtoisie qu’on ne peut refuser à un certain nombre d’entre eux, et dont Saladin laissa un mémorable exemple, apparaît plus d’une fois dans leurs rapports avec les chrétiens. Quelle image idéalisée de la Croisade que la conception des deux caractères de Tancrède et de Clorinde, que l’idée si pathétique de leur rencontre dans un combat de nuit ! Que tout cela est noble ! Quels trésors d’optimisme dans l’âme de ce jeune homme pour se représenter ainsi les conditions de la guerre entre deux religions et deux races ennemies ! Quelle haute idée de l’humanité pour la concevoir sous cette forme au milieu des horreurs du champ de bataille ! Tancrède descend en droite ligne des personnages de la Table Ronde, il en a le courage superbe et la délicatesse morale. Comme eux aussi, il aime et de grands obstacles le séparent de celle qu’il aime. Amour pur et soudain né d’une apparition, un jour où la guerrière Clorinde, qui combat dans les rangs des Sarrasins baignait son visage à l’eau d’une fontaine. Sans la reconnaître, Tancrède se mesure avec elle en combat singulier, et d’un coup porté à la tête rompt la courroie qui retient son casque. Le casque