Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 49.djvu/24

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

détaché, le noble visage de la jeune fille apparaît dans sa rayonnante beauté, les cheveux épars sur les épaules. À cette vue, le chevalier s’arrête saisi d’émotion. Il ne répond plus aux coups que son adversaire lui porte, il regarde ces beaux yeux, ces joues colorées par le feu de l’action et demeure en extase devant tant de charmes. Bien loin de se défendre, il offre sa poitrine au fer qui le menace. Pendant ce court instant, la mêlée se rapproche d’eux et un soldat chrétien, voyant Clorinde la tête nue, essaie de la frapper par derrière. Du revers de son épée, Tancrède arrête le coup sans pouvoir la préserver d’une légère blessure qui fait couler quelques gouttes de sang sur l’or de ses cheveux. La violence du combat les sépare alors. Ils ne se retrouveront plus en face l’un de l’autre que dans la nuit fatale.

Cette dernière rencontre, l’épisode le plus touchant du poème, est préparée avec un art infini par une imitation de l’épisode d’Euryale et de Nisus dans l’Enéide. Comme Nisus Clorinde qui a l’âme d’un soldat est agitée par le désir de frapper un grand coup. Les chrétiens ont élevé une machine de guerre, une tour immense d’où ils font pleuvoir une grêle de pierres et de traits sur une partie des remparts de Jérusalem, qui déjà menacent ruine. A la faveur des ténèbres, elle sortira seule, une torche à la main, et, traversant les avant-postes des croisés, elle ira mettre le feu à ce formidable engin. Son rival de gloire, le Circassien Argant, veut partager avec elle les dangers et l’honneur de l’entreprise. Tous deux sortent, pénètrent dans le camp endormi et parviennent jusqu’à la tour qu’ils embrasent. Mais les chrétiens réveillés les poursuivent sous la conduite de Tancrède. Déjà ils touchent à la porte de Jérusalem où des troupes fraîches les attendent pour les recueillir. Au moment même d’entrer, Clorinde se retourne à la poursuite d’un ennemi qui l’a frappée. La, porte se referme brusquement, dans la crainte qu’un groupe de chrétiens ne pénètre dans la ville, sans qu’Argant, aveuglé par la poussière et par la chaleur du combat, s’aperçoive que sa compagne est restée dehors. Clorinde sentant le péril essaie de se dissimuler au milieu de ceux qui l’ont poursuivie. Mais Tancrède, qui ne l’a pas reconnue, qui ne pouvait pas reconnaître la couleur habituelle de ses armes, sous l’armure noire qu’elle a endossée pour la circonstance, s’attache à ses pas et la défie dans un combat à mort.