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La description de ce duel nocturne est une des merveilles de la Jérusalem délivrée. Rien que pour l’avoir écrite, le Tasse mériterait l’immortalité. Le caractère chevaleresque que le poète attribue à Tancrède se manifeste avant d’engager le fer, par la générosité avec laquelle il descend de cheval pour ne conserver aucun avantage sur un adversaire qui est à pied. Tous deux s’attaquent alors avec une égale ardeur, sans songer à parer les coups, se frappant tantôt de la pointe, tantôt du tranchant de leurs épées. Acharnés à leur œuvre de destruction, ils n’ont recours à aucune des feintes de l’escrime ; leurs pieds s’incrustent dans le sol pendant que leurs mains manient le fer. Puis ils se prennent corps à corps, leurs casques et leurs boucliers s’entrechoquent. Trois fois Tancrède a saisi la guerrière dans ses bras vigoureux et trois fois elle lui a échappé. Le sang ruisselle sur leurs armures. Au moment où l’aube blanchit, ils s’arrêtent épuisés et s’appuient un instant sur le pommeau de leurs épées. Le généreux chevalier, plein d’admiration pour le courage de son adversaire, voudrait au moins connaître son nom, savoir quel est le vaillant soldat qui a pu lui tenir tête si longtemps. L’altière Clorinde refuse de se nommer, et le combat recommence. Par un dernier effort Tancrède passe son épée à travers l’armure fracassée de la jeune fille et lui traverse le sein. Sa légère chemise brodée d’or s’emplit d’un flot de sang. Elle se sent mourir et, se rappelant alors qu’un vieux serviteur lui a raconté le jour même que sa mère était chrétienne, elle demande à son vainqueur de lui apporter l’eau du baptême. Le son de cette voix mourante attendrit le chevalier qui se traîne près d’une source voisine pour y remplir son casque. Il manque de mourir à son tour en reconnaissant aux première lueurs du jour le visage adoré. Il tombe inanimé sur le sol et le convoi des chrétiens qui passe, qui reconnaît l’armure de Tancrède, croit emporter deux cadavres.

Lorsque le noble jeune homme est remis de ses blessures et que le temps a passé sur sa douleur, il doit répondre au défi d’Argant qui le provoque pour venger la mort de Clorinde. Déjà Jérusalem est prise. Les croisés se répandent sur les remparts que le Circassien reste presque seul à défendre. Tancrède le protège contre la fureur des assaillans et l’emmène dans un vallon écarté où ils pourront se mesurer seul à seul. Toujours fidèle au sentiment de l’honneur et aux règles de la chevalerie,