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une constante et solide contexture. Ils choisissent un air universel, et, suivant cette image, vont rangeant et interprétant toutes les actions d’un personnage ; et, s’ils ne les peuvent assez tordre, les vont renvoyant à dissimulation. Qui en jugerait en détail et distinctement pièce à pièce, rencontrerait plus souvent à dire vrai. » Nisard et plusieurs autres, jusqu’au savant M. Crouslé, se sont « opiniâtres » à former de Fénelon cette « solide contexture ; » et, naturellement, ils ont « renvoyé à dissimulation » les actions « qu’ils ne pouvaient assez tordre. » Grâces soient rendues, et mille fois, aux érudits qui nous obligent à « en juger en détail et distinctement pièce à pièce ! »

Le Fénelon qui apparaît à travers ces découvertes de l’érudition, quelque grand peintre d’histoire, quelque poète en donnera un jour le portrait. En attendant, et avec moins d’ambition, essayons une esquisse de Fénelon, et encore une esquisse au temps où Fénelon était un simple abbé, non sans amis ni sans génie, mais sans charge, sans fortune et sans notoriété. Menons ce récit jusqu’au jour où Fénelon s’abandonne sans plus résister à l’ascendant de Mme Guyon, — mais pas plus loin.

Voici donc, jusqu’au préceptorat du Duc de Bourgogne et avant l’évêché de Cambrai ; voici avant les controverses du Quiétisme, les plans du gouvernement et les tables de Chaulnes, avant les grandes espérances, les luttes et les chagrins, voici, dans son naturel, l’abbé de Fénelon.


I

Il est né d’une race particulièrement ingénieuse et distinguée. C’est un Périgourdin, et de la vallée de la Dordogne. Dernier enfant d’un second mariage, il était le fils tard-venu du comte Pons de Salignac de La Mothe-Fénelon et de Louise de La Cropte de Saint-Abre. Son père était vieux ; sa mère était jeune, pieuse, et belle probablement. C’étaient encore des seigneurs d’importance, arrière-neveux de prélats et d’ambassadeurs. Leur château, le château de Sainte-Mondane, dans une position magnifique, a gardé aujourd’hui un air dominateur, un air de puissance. Les murs formidables montent jusqu’à la hauteur d’un premier étage, sans une ouverture. On accède par un pont-levis dans de grandes salles où un goût délicat a réuni des meubles anciens, tels sans doute qu’il y en avait au XVIIe siècle.