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Sainte-Mondane à Rocamadour le sentier abrupt escaladait les pentes rocailleuses et traversait d’arides plateaux pour tomber brusquement sur le gouffre : dans le fond, à une profondeur vertigineuse, est une rivière d’où l’antique ermitage de Zachée, avec les chapelles, les couvens bastionnés et les chemins tortueux, grimpe à la roche verticale, jusqu’au sommet. Ce que la nature a de plus pittoresque s’y associe avec des légendes poétiques. Voilà sous quel aspect la piété s’est présentée à Fénelon. Il y a plus : il était destiné par sa famille à la cléricature. Si la piété lui était déjà une discipline intérieure, le caractère sacré du prêtre allait s’y ajouter, comme une dignité et comme une sauvegarde.

Tant d’élémens nous semblent disparates, mais ils ne sont pas venus l’un après l’autre dans la personnalité de Fénelon. Ils y ont pénétré d’une marche insensible, tous à la fois, en se mêlant et en se confondant. Et puis Fénelon n’a jamais rien eu de l’humeur janséniste, qui est esprit de division, de combat et de pénitence. Il ne concevait pas que la vocation cléricale dût l’opposer à lui-même. Au contraire, tous ses goûts en prendront, eux aussi, un caractère sacré : les vers d’Homère, en passant par sa bouche, deviendront chrétiens. Un moment il rêvera, pour tout arranger, d’être missionnaire et d’aller au martyre en passant par le Péloponèse : l’Itinéraire de Sarlat à Jérusalem !

D’ailleurs il n’avait pas à lutter contre ce « sang chaud et bouillant, semblable à un vin fumeux, » qui emporte les jeunes hommes. Sa santé était délicate, son sang léger et subtil. Une sorte de faiblesse sans souffrances trop vives, une sorte de langueur, mais des nerfs agiles, une sensibilité fine et toujours en éveil : voilà son tempérament. Il est un des hommes qui se sont le plus servis du mot « passionné ; » mais, si la passion est une emprise de l’idée fixe sur notre vie sensible, et si elle absorbe toutes les forces de la personnalité humaine dans une tension exclusive et continue, personne n’a été moins passionné que lui.

Tel était le jeune François de Salignac de La Mothe-Fénelon, lorsqu’il quitta le Quercy. C’était à peu près à l’âge où Jean-Jacques Rousseau, après l’éducation que l’on sait, et « avec un sang brûlant de sensualité, » quittait lui aussi son pays natal. Mais Jean-Jacques s’en allait chez Mme de Warens ; Fénelon partait pour Saint-Sulpice.